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l’attention du colonel Bland sur la malheureuse condition des esclaves nègres, C’était l’un des membres les plus anciens, les plus respectables et les plus capables ; il chercha avec infiniment de mesure à faire étendre la protection des lois à ces pauvres gens. Je secondai sa motion, et, en ma qualité de jeune membre, je fus un peu plus épargné dans le débat ; mais il fut dénoncé comme un ennemi de son pays et traité de la façon la plus inconvenante. »

De semblables orages n’étaient pas de nature à féconder le talent de Jefferson. Il avait instinctivement peu de goût pour ces joutes oratoires où l’on se rencontre en champ clos, à ciel découvert, sans autre arme et sans autre armure que la parole, où il faut s’exposer de sa personne aux coups, les rendre sur l’heure sans prendre le temps de choisir souterrain ou de tourner l’ennemi, et s’attendre à ne sortir vainqueur de l’arène que meurtri et sanglant. Il se sentait mieux dans son élément au milieu de ces luttes plus sourdes et plus lointaines où les coups se méditent dans le silence et le secret du cabinet, et où le danger, non moins réel, est moins présent. Aussi abandonnait-il volontiers à ses amis politiques l’honneur d’exécuter des plans de campagne souvent conçus par lui.

De toutes les machines de guerre dressées par les citoyens américains contre les ministres de George III, les plus redoutables sans contredit, ce furent les comités de correspondance entre les colonies. La création en fut décidée, en 1773, dans un petit conciliabule dont Jefferson était l’un des meneurs les plus actifs. L’idée première n’était pas de son invention. À plusieurs reprises, les patriotes de Boston avaient cherché à la mettre en pratique ; mais leurs tentatives avaient avorté, et c’était Jefferson qui, reprenant leur projet, avait le plus contribué à échauffer l’esprit de ses collègues en faveur d’un moyen d’action qui allait merveilleusement à ses instincts politiques. « On me proposa de présenter à la chambre le projet ; mais, à ma demande, M. Carr, mon beau-frère et mon ami, fut chargé de ce soin. Je voulais lui offrir une occasion de faire connaître à l’assemblée sa grande valeur et son talent. »

Un an plus tard, réunion du même conciliabule aboutissant à un résultat analogue. En punition des émeutes sur le thé, le parlement avait ordonné la fermeture du port de Boston. Le bill venait d’arriver en Amérique ; il ne produisait point sur les masses tout l’effet que l’opposition devait en attendre, leur apathie devenait inquiétante : il s’agissait d’exciter des esprits engourdis. En quête d’expédiens, les agitateurs virginiens se réunissent dans la bibliothèque de la chambre des bourgeois, et donnent carrière à leur imagination. L’idée de faire appel aux sentimens religieux du peuple se présente à eux, elle paraît excellente à tous, et l’on se décide à monter un