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autres ennuis ! Ou, comme le disait le père Job (qui, par parenthèse, commençait à gémir un peu sous l’affliction), âmes jours ne sont-ils pas en petit nombre ? Qu’il me donne donc du relâche, qu’il s’éloigne de moi, et que je respire un peu avant que j’aille, pour n’en plus revenir, dans le pays des ténèbres et de l’ombre de la mort ! » Mais les vieilles gens disent qu’il faut lire pour acquérir de la science, et acquérir de la science pour être heureux et admiré. Pur jargon ! Y a-t-il en ce monde telle chose que le bonheur ? Et quant à l’admiration, je suis sûr que celui qui se poudre le plus, qui se parfume le plus, qui se charge le plus de broderies et dit le plus de sottises est le plus admiré. »


Malgré sa passion, le jeune sceptique allait parfois jusqu’à faire profession de ne pas plus croire à l’amour qu’au bonheur et à l’admiration. « Faisons ensemble le tour de l’Europe, mon cher Page, cela nous prendra au moins deux ans, et si à notre retour nous ne sommes pas tous deux guéris de l’amour, c’est que le diable s’en mêlera. » Toute cette belle philosophie ne l’empêchait pas d’être fort tourmenté, d’envier le sort de Page, dont « le cœur était alors libre, » de jurer que « si Belinda refusait ses services, il ne les offrirait jamais à d’autres, » et de préparer de jolis projets de déclaration « bien émouvans, » qui, malgré de nombreuses répétitions, « n’aboutissaient au milieu du bal qu’à quelques phrases en désordre. » Avec le temps, il se remet cependant un peu : viennent alors avec la jeune fille des explications moins confuses, où il se montre étrangement préoccupé de ne pas déranger ses projets de voyage en Europe, de ne pas s’engager vis-à-vis du tuteur de Belinda, de concilier ses démarches secrètes avec les convenances, et d’étouffer certains scrupules assez honnêtes qui lui viennent à l’esprit sur ce qu’il n’a point « fait son siège dans les règles : » — « Je n’ai posé aucune question qui exigeât une réponse catégorique ; mais j’ai fait entendre à Aδνιλεβ que de telles questions lui seraient un jour adressées… Elle doit avoir la certitude que je lui ferai des propositions, et si elle a l’intention de les accepter, elle négligera celles des autres. Mon sort dépend des résolutions présentes d’Aδνιλεβ. Par elle, je tomberai, ou je resterai debout. » Il « tomba, » sans que nous sachions bien pourquoi ni comment ; mais le cas était déjà depuis longtemps prévu, et il était à l’avance parfaitement décidé à ne pas prendre trop tristement ses infortunes.


« Si elle consent, je serai heureux ; sinon, il me faudra faire effort pour l’être autant que possible… Le seul moyen de fortifier nos âmes contre le malheur, c’est de nous imposer une résignation parfaite à la volonté divine, c’est de regarder tout ce qui arrive comme devant arriver, et de nous dire que par notre inquiétude nous ne pouvons détourner le coup qui va nous atteindre, mais que nous pouvons ajouter à sa force après qu’il nous a frappés…