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I

Le 2 avril 1743, trente-sept ans après Franklin et onze ans après Washington, Thomas Jefferson naissait en Virginie, dans l’habitation rustique d’un planteur, aux avant-postes de la civilisation, sur le territoire montagneux et sauvage du comté de Goochland, dont son père avait été l’un des premiers occupans. Pierre Jefferson était un grand propriétaire, dont la famille, Galloise d’origine, était depuis longtemps déjà Américaine d’habitudes et de mœurs ; c’était un hardi colon, d’un jugement droit, d’un esprit ferme, actif et curieux, qui avait réparé par la lecture les lacunes d’une éducation trop simple et trop rude, et qui savait assez le prix des lettres pour faire enseigner à son fils le français, le latin et le grec, chez un pasteur écossais, son voisin. Il mourut dans la force de l’âge, laissant à sa femme le soin de sept enfans, dont l’aîné, Thomas, n’avait que treize ans. L’illustre chef du parti démocratique aux États-Unis a pris soin de nous apprendre qu’elle était une Randolph, famille considérable en Amérique, et dont les membres « faisaient remonter leur origine à des temps reculés dans l’histoire d’Angleterre et d’Ecosse. » C’est le seul détail qu’il nous ait laissé sur sa mère ; puis, comme pour se faire pardonner cette petite réminiscence de sa noble origine, il s’est empressé d’ajouter avec une désinvolture qui à elle seule doit paraître à certains de ses partisans la marque d’un esprit supérieur : « A quoi chacun attachera d’ailleurs la créance et le prix qu’il voudra. »

À dix-sept ans, Thomas Jefferson fut envoyé à Williamsburg pour compléter ses études classiques au collège de William and Mary. C’était alors un grand et maigre jeune homme, la charpente osseuse, les traits accentués et un peu durs, le teint et les cheveux roux, l’air indépendant, éveillé et rusé ; sachant déjà se servir de ses camarades pour obtenir de ses maîtres ce qu’il lui répugnait de demander directement ; d’ailleurs bon compagnon, aimable, plaisant, toujours prêt à courir ces petites aventures qui font la joie et la popularité de la jeunesse, assez entreprenant auprès des jeunes filles, hardi chasseur, bon cavalier, et ne refusant jamais d’égayer une fête au son d’un violon, dont il jouait fort bien, disent ses panégyristes.

John Page, qui plus tard fut son compétiteur dans les élections pour la charge de gouverneur de la Virginie sans jamais cesser d’être son ami, était alors le confident le plus familier de ses joies et de ses peines. Jefferson lui écrivait de longues lettres où il lui racontait tout ce qui lui venait à l’esprit dans ce langage à la fois