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Les Américains ne comprenaient rien à cette subite apparition. On leur expliqua qu’ils avaient en face d’eux les lutteurs les plus renommés du Japon. Les premiers et les hauts dignitaires ont un certain nombre de lutteurs attachés à leur personne, et c’est pour eux une grande gloire de posséder les plus forts hercules. Nos rois jadis n’avaient-ils pas leurs fous ? Les lutteurs du Japon portent ordinairement un riche costume sur lequel sont brodées les armoiries de leur maître ; mais quand ils doivent se livrer à leurs exercices, ils ne gardent qu’une légère ceinture autour des reins, et alors ils peuvent étaler avec orgueil leur vigoureuse difformité. Les Japonais invitèrent le commodore à les suivre dans la salle des conférences, qui avait été disposée pour un spectacle. Tous les lutteurs vinrent successivement en scène et engagèrent, deux par deux, des combats acharnés. Les uns se portaient d’affreux coups de poings, sous lesquels le sang coulait à longs flots ; les autres, semblables à des taureaux furieux, se rencontraient tête baissée et se heurtaient en plein élan. C’était horrible à voir, bien que les Japonais parussent contempler avec un vif sentiment d’orgueil les exploits féroces de ces immondes créatures. Après chaque lutte, la musique de l’escadre faisait entendre une fanfare en l’honneur du vainqueur. — Cet épisode, que le narrateur américain raconte très longuement, nous gâte ces princes japonais, dont l’attitude, jusqu’alors pleine de réserve, et les manières distinguées et polies annonçaient des goûts plus relevés. Les Chinois possèdent des jongleurs très habiles et des clowns qui rivaliseraient aisément avec nos plus lestes, mais on ne voit point sur leurs théâtres ces représentations de la force brutale. S’il fallait juger de la civilisation d’un peuple d’après les spectacles qu’il affectionne, le peuple japonais devrait céder le pas à la nation chinoise, pour laquelle il professe cependant un si fier dédain. Quand les exercices des lutteurs furent terminés, le commodore fit procéder à son tour à la remise officielle des présens envoyés par le gouvernement des États-Unis, et les princes examinèrent de nouveau le télégraphe, le chemin de fer, les instrumens agricoles, qui depuis plusieurs jours excitaient la curiosité de la foule. Enfin, pour achever dignement cette laborieuse journée, on donna aux Japonais le spectacle d’une parade militaire, et un détachement de soldats de marine exécuta de nombreuses évolutions qui méritèrent les complimens des délégués de Yédo.

Le 27 mars, le commodore invita les plénipotentiaires et leur suite à une fête qu’il donnait à son bord. Le Powhattan avait été pavoisé pour cette circonstance solennelle ; c’était la première fois peut-être que des princes japonais, des conseillers de l’empereur acceptaient l’hospitalité sur un navire étranger. Après avoir visité