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quelques instans, ils reparaissaient pour annoncer eux-mêmes leur défaite : excellente comédie en plusieurs actes, que les diplomates de Yédo jouèrent jusqu’au dénoûment avec une gravité imperturbable, et dans laquelle ils semblaient, presque à chaque scène, se laisser arracher violemment des concessions dont ils avaient d’avance fait le sacrifice. Le rôle brillant était pour l’Américain ; mais, quoique battus, les Japonais étaient contens de n’être pas poursuivis trop loin dans leur déroute, et ils surent en définitive manœuvrer si habilement, que leur adversaire put se croire autorisé à chanter victoire et à se reposer dans son triomphe, sans que la cour de Yédo eût à payer trop chèrement les frais de la guerre. — Le 21 mars, après de nombreux pourparlers, officiels et officieux (car, indépendamment des conférences auxquelles assistait le commodore, il y avait tous les jours dans la coulisse, entre les officiers américains et les interprètes japonais, des négociations très actives), on convint que le pavillon des États-Unis serait admis dans les ports de Simoda et de Hakodade, et dès ce moment on comprit de part et d’autre qu’il serait facile de s’entendre sur les termes d’un traité.

Le 24, le commodore fut invité à se rendre à terre pour recevoir les présens que l’empereur et les principaux dignitaires destinaient au président des États-Unis et à l’ambassade. Le pavillon de Yoku-hama avait été transformé en un véritable bazar, où l’on avait exposé les plus riches produits de l’industrie japonaise. Les soieries, les laques, les porcelaines tenaient une grande place dans cette exhibition, qui attestait une extrême habileté de travail, et dont plusieurs collections apportées en Europe, notamment à La Haye, peuvent nous donner une idée. Tous les cadeaux étaient rangés avec ordre et réunis par lots pour chacun des destinataires. Parmi ceux qui échurent au commodore, on distingua deux collections complètes de monnaies du Japon ; elles furent remises séparément et avec mystère par le prince Hayaschi comme une marque extraordinaire d’amitié et de confiance, les lois japonaises interdisant d’une manière absolue toute exportation de numéraire. La liste des présens était complétée par le don de deux cents sacs de riz, de trois cents poulets et de quatre chiens. Il paraît, d’après les informations qui furent prises, que le riz et les chiens figurent toujours parmi les présens qui proviennent de la munificence impériale.

Pendant que le commodore et ses officiers étaient occupés à examiner cette exposition, une bande de vingt-cinq individus fit bruyamment son entrée dans la salle. C’étaient d’immenses gaillards, très hauts de taille, très gras, très laids, et à peu près nus. Les yeux, le cou, la forme des membres, disparaissaient sous leur graisse, à travers laquelle pourtant on sentait vibrer les muscles.