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une vitesse de trente kilomètres à l’heure. Jusqu’au départ de l’escadre, les Japonais se pressèrent avidement autour du télégraphe et de la locomotive. Chacun voulait envoyer sa dépêche et demandait à prendre place sur le char qui était accroché au tender. Les Américains avaient touché juste dans le choix intelligent de leurs cadeaux. Leur exhibition industrielle obtint plein succès, et elle confondit d’admiration et d’étonnement un peuple qui, soit tradition, soit orgueil, est peu disposé à admirer ce qui vient du dehors, et dont l’esprit défiant semble inaccessible à la surprise.

Le commodore avait obtenu, pour les états-majors de l’escadre, la permission de faire quelques excursions dans la campagne. Les officiers en profitèrent et virent ainsi plusieurs villages. Partout ils recevaient un accueil bienveillant, car au Japon comme en Chine la prétendue aversion que les classes populaires éprouveraient pour les étrangers n’existe que dans l’imagination ou plutôt dans la politique des gouvernemens, obstinés à repousser toute influence extérieure et en particulier toute relation avec les Européens. Si les Japonais se montraient peu expansifs, s’ils refusaient de répondre aux questions qui leur étaient adressées, cette réserve extrême ne devait être attribuée qu’au mot d’ordre très rigoureux donné par les autorités du pays. En maintes circonstances, pendant leur séjour dans la baie de Yédo, les officiers de l’escadre eurent à remarquer avec quel soin les Japonais se cachaient les uns des autres lorsqu’ils conversaient avec un Américain, et surtout lorsqu’ils avaient l’audace d’accepter le plus minime cadeau, une pièce de monnaie ou un bouton ! C’est que l’interdiction prononcée par le gouvernement à l’égard des étrangers ne peut être respectée qu’à l’aide d’un système d’espionnage établi à tous les degrés, et ayant l’œil sur le personnage le plus élevé comme sur le dernier des prolétaires. Aussi l’espionnage est-il réellement dans ce singulier pays une institution nationale. Chaque Japonais est doublé d’un espion ; il doit voir ce que fait son voisin de droite et observer si son voisin de gauche le regarde. Cela explique comment les Américains, d’après leur propre aveu, ne purent recueillir que des informations très incomplètes sur les lois, les mœurs ou les habitudes du Japon.

Très réservés et presque impénétrables sur leurs propres affaires, les Japonais manifestaient pour tout ce qui concernait les Américains la plus indiscrète curiosité. Quand ils venaient à bord (et ils saisissaient les moindres prétextes pour visiter les différens navires de l’escadre), ils observaient tout, furetaient partout, demandaient sur toutes choses des explications, et à chaque instant on les voyait saisir leur pinceau et prendre des notes ou des croquis, afin de mieux garder en mémoire les objets qui les avaient frappés. Ils examinaient