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de la précédente conférence, au sujet de la remise de la lettre adressée à l’empereur par le président des États-Unis. Le commodore avait entendu qu’il remettrait d’abord une copie de la lettre, puis que le gouvernement japonais lui enverrait un haut dignitaire pour recevoir l’original. Les Japonais avaient compris que la copie et l’original seraient délivrés en même temps. De là une discussion très longue entre les officiers américains et Yezaïmeny Celui-ci déclara d’ailleurs que le gouvernement était disposé à déléguer un fonctionnaire pour recevoir, au nom de l’empereur, la lettre du président, et que l’on construirait sur le rivage un pavillon où aurait lieu la cérémonie ; « mais, ajouta-t-il, il ne sera donné aucune réponse dans la baie de Yédo. La réponse de l’empereur, transmise à Nagasaki, parviendra aux Américains par l’intermédiaire des surintendans hollandais ou chinois. » Cette restriction ne pouvait, en aucune manière, convenir au commodore, qui s’empressa de rédiger le mémorandum suivant, recommandé aux plus sérieuses méditations du gouverneur :

« Le commandant en chef n’ira point à Nagasaki, et il ne recevra aucune communication par l’intermédiaire des Hollandais ou des Chinois. Il est porteur d’une lettre du président des États-Unis, lettre qu’il est chargé de remettre soit à l’empereur du Japon, soit au ministre des affaires étrangères, et il n’en remettra l’original à nul autre. Si cette lettre amicale du président n’est pas reçue et s’il n’y est point fait une réponse convenable, le commandant en chef considérera son pays comme insulté, et il décline à l’avance toute responsabilité pour ce qui pourra s’ensuivre. Il attend une réponse sous peu de jours, et il ne recevra cette réponse qu’à proximité de son mouillage actuel. — Baie d’Uraga. »

Dès que ce mémorandum lui eut été notifié, Yezaïmen demanda encore le temps de réfléchir, et il quitta la frégate, promettant qu’il reviendrait le soir. Pendant les conférences, le commodore s’était renfermé dans son salon, où ses officiers venaient à chaque incident, c’est-à-dire à chaque instant, lui demander des instructions. La partie n’était pas égale pour Yezaïmen, qui se trouvait seul à faire tête aux capitaines Adams et Buchanan, et qui n’avait point la ressource de rentrer dans la coulisse aux momens critiques et d’y chercher une solution ou un mot d’ordre. Il avait ainsi bravement lutté durant près de trois heures, non-seulement contre ses deux interlocuteurs, mais encore contre cet adversaire invisible qui puisait dans le mystère même dont il s’entourait l’autorité et le prestige d’un oracle. Le mémorandum, que le commodore avait pu écrire fort à son aise et sans se préoccuper d’objections qu’il ne devait pas entendre, fut le coup de grâce pour Yezaïmen, qui, lui aussi, avait bien le droit de recueillir ses idées et de rentrer sous sa tente. Il est probable qu’il