Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/510

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du commodore Perry, et qu’ils connaissaient l’objet de la mission américaine, car, tout en maintenant strictement le blocus autour de ses propres côtes, le cabinet de Yédo est au courant des faits qui s’accomplissent dans les diverses parties du monde, et plus d’une fois, aux questions qui leur furent adressées, les officiers de l’escadre virent bien que leurs curieux interlocuteurs étaient assez exactement informés non-seulement des mouvemens de la politique européenne, mais encore des découvertes les plus remarquables de la science moderne. Indépendamment de ses rapports avec l’établissement hollandais de Décima, le gouvernement japonais a recours, pour observer ce qui se passe au dehors, aux journaux et aux livres étrangers, et il ne serait pas surprenant qu’il eût à Yédo un bureau de traduction parfaitement organisé, où se rédige un sommaire plus ou moins arriéré de l’histoire contemporaine.

Le 9 juillet, au lever du jour, un bateau s’approcha du Susquehannah ; il contenait des artistes qui parurent très activement occupés à dessiner les formes, nouvelles pour eux, des navires américains. C’était, en effet, pour la première fois que des bâtimens à vapeur abordaient ces parages du Japon. Ces dessinateurs étaient évidemment attachés à la police, ils venaient prendre le signalement de l’escadre ; mais on ne jugea point à propos de les troubler dans l’exercice de leurs innocentes fonctions, et les Américains posèrent volontiers devant eux. — A sept heures, le haut dignitaire dont la visite avait été annoncée se présenta, accompagné d’une suite nombreuse. C’était Yezaïmen, gouverneur d’Uraga. La veille, le fonctionnaire qui était venu à bord du Susquehannah avait déclaré que les lois du Japon s’opposaient à ce que le gouverneur s’aventurât en mer : il paraît que la nuit avait porté conseil, et le gouverneur reconnut sans doute que, dans de si graves conjonctures, sa grandeur ne devait point l’attacher au rivage. C’était pour le commodore un indice précieux de la flexibilité des usages japonais et un encouragement à ne point se laisser rebuter dans la suite des négociations par une première difficulté. Le gouverneur d’Uraga était vêtu d’une belle robe de soie brodée avec bordures en or et en argent, et il portait les insignes qui distinguent les nobles du troisième degré. Lorsque l’interprète qui faisait partie du cortège et qui s’exprimait en hollandais eut décliné les titres et qualités du visiteur, le commodore, qui entendait se réserver pour les grandes occasions, pensa qu’un simple gouverneur, un noble de troisième classe, n’était point un assez haut personnage pour qu’il dût le recevoir en personne, et il chargea trois officiers de son état-major, les capitaines Buchanan et Adams et le lieutenant Contée, de donner audience à Yezaïmen. — Comme on s’y attendait, le gouverneur reproduisit,