Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvait venir en personne, les lois du pays ne lui permettant pas de se rendre sur les navires en rade, mais que le vice-gouverneur, présent dans le canot, était prêt à conférer avec un officier américain d’un grade correspondant au sien. Le commodore finit par accepter cette proposition, et il délégua un officier du Susquehannah, le lieutenant Contée, pour entendre le vice-gouverneur. Celui-ci monta donc à bord. Dans cette première entrevue, on lui fit connaître que le commodore était porteur d’une lettre adressée à l’empereur du Japon par le président des États-Unis, et qu’il désirait qu’un haut dignitaire fût chargé de venir prendre une copie de cette lettre, et de fixer, d’accord avec lui, un jour pour la remise officielle de l’original. Le vice-gouverneur, Nagazima Saboroske (il faut nous habituer à ces noms japonais), rappela que, d’après les lois de l’empire, Nagasaki était le seul point ouvert aux relations avec les étrangers, et que l’escadre devait s’y transporter sans délai. L’observation était prévue et la réponse toute prête : — Le commodore est venu exprès à Uraga, parce que ce port est plus rapproché de la capitale Yédo, et il n’ira point à Nagasaki ; il se présente en ami et s’attend à être traité comme tel ; il ne veut point que ses navires soient entourés par un cordon d’embarcations japonaises ; ces embarcations doivent immédiatement prendre le large, sinon elles seront dispersées par la force. — À cette déclaration catégorique, le vice-gouverneur se leva vivement, et donna du haut de l’échelle quelques ordres. La plupart des embarcations s’éloignèrent de la frégate. En même temps un canot du Susquehannah alla donner la chasse aux retardataires, de sorte qu’en un clin d’œil les abords de l’escadre furent complètement dégagés. Quant à la remise de la lettre du président, le vice-gouverneur fit savoir qu’il n’avait point qualité pour traiter une question aussi importante, mais que le lendemain matin le commodore recevrait la visite d’un haut dignitaire qui serait en mesure d’en conférer utilement.

Ce début avait eu pour résultat d’apprendre aux Japonais que leurs nouveaux hôtes ne seraient pas d’humeur à endurer les procédés soupçonneux et peu courtois qui jusqu’alors avaient été employés à l’égard des navires étrangers. Le commodore avait dédaigné d’entrer en pourparlers avec un fonctionnaire d’ordre inférieur, qui ne lui paraissait pas même digne d’être admis en sa présence ; il avait signifié résolument qu’il ne voulait pas entendre parler de Nagasaki ; il s’était débarrassé sans le moindre délai de la ceinture de gardes-côtes qui, selon l’usage, étaient venus s’enrouler autour de son escadre. Le malheureux vice-gouverneur d’Uraga devait se sentir mal à l’aise devant cette vigueur inaccoutumée. Il faut croire cependant que les Japonais avaient été prévenus de la prochaine visite