Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celui où ils le sont davantage. Quand les choses sont livrées à leur cours naturel, le salaire se mesure à la quantité de la production, et si le salaire s’accroît sur un point, c’est qu’on y produit plus. Il est donc de l’intérêt public comme de l’intérêt privé que les bras y affluent. Ces considérations générales avaient en France une application particulière. Le nombre des bras employés à la culture y était trop élevé pour le résultat obtenu ; on y trouvait environ 40 têtes de population rurale par 100 hectares, tandis que l’Angleterre n’employait que 30 têtes sur la même étendue pour produire le double. En même temps, l’insuffisance de la population industrielle nuisait aux progrès de l’agriculture en bornant ses débouchés. Ce rapport nécessaire entre la richesse industrielle et la richesse agricole est maintenant généralement connu et accepté.

Les bras qui s’éloignent de l’agriculture pour se porter vers l’industrie obéissent donc à la loi même du progrès. Les cultivateurs français qui se plaignaient autrefois de manquer de bras avaient certainement tort, puisque ces plaintes coïncidaient avec une augmentation constante de population même rurale, avec un progrès correspondant de la production et un bas prix quelquefois excessif des denrées alimentaires. Un plus juste équilibre entre les forces industrielles et les forces agricoles s’établissait peu à peu par la nécessité même ; les deux branches du travail national marchaient du même pas et se prêtaient un mutuel secours. L’usage des machines commençait à pénétrer dans la culture, et si elles n’entraient que lentement dans les habitudes, faute d’instruction et de capital, le travailles remplaçait en attendant. Aujourd’hui tout est brusquement bouleversé. Au lieu d’une transformation progressive, nous avons une violente perturbation L’agriculture a perdu tout à coup un nombre immense de bras, sans que l’industrie proprement dite les ait gagnés, et la production souffre sous toutes ses formes.

Cette crise tient à la diminution positive de la population laborieuse depuis trois ans. Quand l’ensemble de la population s’accroît, une branche du travail peut gagner sans que l’autre perde beaucoup ; mais quand la population diminue, il n’en est pas de même. Le nombre des hommes valides est en France de 8 millions environ, dont 6 millions de cultivateurs. Que 600,000 hommes désertent la culture, c’est une diminution de 10 pour 100, et si en même temps l’équivalent de ces 600,000 hommes est emporté par le choléra et la guerre, l’industrie n’a rien gagné ; les bras enlevés d’un côté n’ont fait que remplir le vide opéré de l’autre par la mort. Si, parmi ces 600,000 hommes, la moitié seulement a disparu, mais que l’autre ait été détournée accidentellement vers des occupations improductives, le résultat est identique : ils manquent également à la production