Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’environ 3 millions, une armée de 500,000 hommes en prend le sixième, une perte de 100,000 en enlève 1 sur 30. En même temps que les hommes, la guerre a absorbé pour 2 milliards environ de capitaux, qui se seraient répartis en temps ordinaire sur les industries utiles, et dont l’agriculture aurait eu sa part. Le vide produit par ces 2 milliards n’est pas moins sensible dans les campagnes que celui des bras, les capitaux y manquent généralement.

Pour montrer avec quelque précision les caractères et les conséquences du luxe, il est nécessaire d’aborder le second fait que le dénombrement de 1856 a mis en lumière, l’immense mouvement de déplacement qui pousse la population des départemens pauvres vers les départemens riches, et surtout vers les grandes villes.

Cinquante-quatre départemens ont vu leur population diminuer au lieu de s’accroître depuis 1851 ; 32 seulement se sont accrus, et sur ces 32, il en est 12 environ où l’augmentation a été considérable. Parmi les départemens qui ont perdu, les plus frappés sont ceux de la Haute-Saône, de l’Isère, de la Meurthe, du Bas-Rhin, de la Meuse, des Vosges, de l’Ariège, etc. ; celui de la Haute-Saône a perdu à lui seul le dixième de son effectif. Parmi les départemens qui ont le plus gagné, figure au premier rang celui de la Seine, qui s’est accru de 305,000 âmes en cinq ans. Un accroissement aussi gigantesque était tout à fait sans exemple. Cette nouvelle agglomération s’est concentrée presque tout entière dans la banlieue de Paris, dont la population a presque doublé, et dans les 8e et 12e arrondissemens, formés des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Jacques. Les autres grandes villes de France, Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes, Saint-Etienne, se sont aussi fortement accrues, et jusque dans les plus petites villes, cette tendance s’est fait généralement sentir.

Comme la lenteur dans le progrès de la population, le mouvement de déplacement n’est pas nouveau, mais il a pris depuis 1851 des proportions extraordinaires. Il n’était pas encore arrivé, sauf dans cinq ou six départemens placés sous l’influence de causes particulières, que la population diminuât, tandis qu’elle a diminué cette fois sur les deux tiers du territoire. Le réseau des chemins de fer, en s’étendant, a pu contribuer à accélérer ce mouvement, mais sans le créer, et pour qu’il soit arrivé à ce point, il faut qu’il ait des causes plus profondes et plus générales.

Quelques-unes de ces causes n’ont rien que de juste. L’homme n’est point un végétal attaché au sol qui l’a vu naître, il est doué de la faculté de locomotion et maître de l’exercer à son gré. Il est naturel, il est utile que chaque ouvrier use de sa liberté pour se porter du point où ses services ne sont que faiblement rémunérés sur