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avoué par la religion que commandé par la raison : c’est ce qu’il appelle, en anglais moral restraint, assez mal traduit jusqu’ici par contrainte morale, et qu,e j’arme mieux traduire par continence volontaire, non assurément une continence absolue, un célibat systématique, mais une abstention réfléchie, dans le cas unique où l’on a tout lieu de croire que l’on ne mettra au monde qu’un enfant misérable, ce qui n’entraîne en aucune façon la désobéissance au précepte divin toutes les fois qu’on a la conviction du contraire. Il n’y a rien là qui ne soit conforme aux préceptes de la morale : l’église elle-même recommande la chasteté comme une vertu.

Quant à l’abus ; qui peut être fait de cette sage prescription, Malthus n’en est nullement responsable. « J’appelle moral restraint, dit-il formellement, l’abstinence du mariage jointe à la chasteté ; le libertinage et tout ce qui peut être contraire à la génération, en dehors de la chasteté, appartient à la classe des vices. » Le mot même qu’il emploie, quoique mal choisi, suppose une contrainte, une surveillance exercée sur soi-même, une privation imposée par un devoir, ce qui aurait dû couper court à tous les abominables commentaires qu’on a faits.

En même temps que sa théorie de la population, et comme conséquence de cette théorie, Malthus a fait le procès à la charité légale, telle qu’elle était organisée en Angleterre de son temps. Cette seconde partie de son opinion n’est pas moins irréprochable que la première. Ce qu’il combat par des argumens invincibles, c’est le droit du pauvre à être secouru dans tous les cas ; il prouve que ce droit ne peut pas exister, puisqu’il est d’une satisfaction impossible quand la quantité des subsistances ne suffit pas pour nourrir tout le monde, et que les secours donnés au pauvre sans travail ont précisément pour effet d’augmenter la somme de la misère en réduisant la quantité de la production. Tous ces résultats sont mathématiques. S’ensuit-il que Malthus repousse absolument la charité même publique ? En aucune façon : il montre seulement le danger de cette charité ; en prouvant qu’on ne peut donner aux uns sans ôter aux autres, et que l’aumône mal faite multiplie les pauvres, il n’a d’autre but que de mettre en garde contre des entraînemens irréfléchis, sans attaquer le principe même de la charité, ou en le rendant plus sublime encore, s’il est possible, en même temps que plus éclairé. Ce qui le prouve, c’est que, ses élèves mis à l’œuvre n’ont pas proposé de supprimer la taxe des pauvres, et se sont contentés d’en modifier l’application dans un sens plus rationnel et plus juste.

Examinons maintenant, à la lueur de la théorie de Malthus, ce qui se passe en France depuis un demi-siècle. En 1790, la population de la France, d’après un recensement ordonné par l’assemblée constituante,