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chacun sait combien notre organisation municipale offre peu de garanties, soit pour une recherche scrupuleuse, soit pour une parfaite sincérité. On craint toujours que des intentions fiscales ne se cachent sous la demande de ces renseignemens statistiques, dont tout le monde ne comprend pas la nécessité ; cette crainte est, jusqu’à un certain point, justifiée par les faits, en ce sens que le nombre des habitans d’une commune détermine l’assiette de certains impôts, l’impôt sur les boissons par exemple ; on se croit donc et on est réellement, dans quelques cas, intéressé à dissimuler la vérité. Même avec les meilleures intentions du monde, le mouvement de ce qu’on appelle les populations flottantes est une cause perpétuelle de confusion. Autrefois on prenait pour base des dénombremens le domicile ; depuis quinze ans, on a adopté une règle plus positive, la résidence, mais même avec cette nouvelle base de nombreuses questions se présentent. Où compter les individus absens pour une cause temporaire de leur résidence habituelle ? où compter les troupes de terre et de mer qui changent de garnison, celles qui partent pour l’extérieur ou qui en reviennent ? Le temps lui-même est une difficulté : en principe, ce dénombrement devrait se faire partout le même jour ; mais en réalité il traîne toujours plusieurs mois, et on sait qu’en fait de statistique la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain. Enfin les circonstances politiques ne sont pas non plus sans influence. Les hommes spéciaux n’attachent pas une foi entière aux deux dénombremens de 1841 et de 1851, le premier ayant été exécuté au milieu d’une grande agitation populaire excitée par les journaux du temps contre le recensement, le second ayant été fait par des autorités incertaines, au milieu d’une grande inquiétude de l’avenir et à la veille d’un coup d’état.

Ces causes et beaucoup d’autres font des dénombremens une œuvre difficile et chanceuse. Il ne faut pourtant pas s’en exagérer la portée. Depuis trente ans environ, cette opération se répète tous les cinq ans et à force de se reproduire, elle va toujours en se perfectionnant. Les occasions d’erreur sont aujourd’hui parfaitement connues, on s’applique avec succès à les éviter. On a organisé de nombreux moyens de contrôle. Les travaux des statisticiens, en permettant de comparer les procédés suivis chez nous avec ceux des autres peuples, ont fait connaître les lacunes et les moyens d’y porter remède. On a introduit des classifications par sexe, par âge, par profession, qui rendent plus facile la rectification des erreurs. Chaque dénombrement est l’objet d’un travail spécial de révision, soit de la part de l’administration, soit de la part des savans qui s’occupent de ces matières. On n’est pas sans doute arrivé à la perfection, mais on y marche, et les résultats acquis, sans atteindre une précision impossible,