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de petits papiers sur lesquels il écrivait les maximes ou opinions qui l’arrêtaient dans ses lectures, et qu’il jetait à mesure dans les compartimens divers du meuble aide-mémoire ouvert devant lui. Ce procédé de travail n’explique-t-il pas à merveille l’abondance et l’exactitude extraordinaires de citations dont les ouvrages du grand philosophe sont pleins, et l’espèce de mosaïque de souvenirs et de réflexions que, d’abord qu’on les ouvre, ils offrent à la vue ? Si dans la Théodicée notamment la plus prodigieuse érudition s’allie sans jamais la refroidir à la plus constante et à la plus sublime inspiration, l’armoire-casier de Hanovre n’y est-elle pas pour quelque chose ?

Quoi qu’il arrive cependant, il faut rendre justice à M. Foucher de Careil : il sera difficile désormais de découvrir à Hanovre rien de plus intéressant ni de plus authentique que les lettres et opuscules qui, grâce à lui, viennent de voir le jour. L’authenticité d’abord, premier et essentiel mérite de ces papiers, est au-dessus de tout soupçon : ce sont pour la plupart des autographes. Ils portent d’ailleurs chacun d’un bout à l’autre de leur texte cette signature du génie qui désespérera toujours la contrefaçon. L’aîné des Bernouilli s’avisa un jour, — dans ce temps-là les affaires de la science étaient les grandes affaires, — de proposer aux géomètres, ses contemporains, un problème très difficile, dont la solution, quelqu’excellent mathématicien que lui-même il fût, l’avait longtemps arrêté. Il vint plusieurs réponses, mais une entr’autres de si grande façon que chacun l’admirait. Elle était anonyme. De qui est-elle ? se disait-on ; mais Bernouilli : « Cela est de Newton ; ne voyez-vous pas la griffe du lion ? » Les pièces que vient de publier M. Foucher de Careil sont toutes reconnaissantes à ce même signe, et quand l’intelligent éditeur n’aurait trouvé à Hanovre que des copies, l’origine pour cela n’en serait pas plus suspecte : elles portent toutes la griffe du lion.

La plus remarquable de ces pièces, et celle aussi que nous signalerons par-dessus tout aux amateurs de l’érudition et de la philosophie, est une Réfutation complètement inédite de Spinoza, opuscule destiné à détruire tout à fait la fausse idée que quelques critiques allemands, à la suite de Lessing, ont essayé de donner du sentiment de Leibnitz sur la liberté humaine. Il était déjà fort clair, comme nous l’avons dit, que Leibnitz n’avait jamais été panthéiste ; mais après avoir lu sa réfutation de Spinoza, il n’est plus possible même de supposer qu’à aucun moment de sa vie le grand philosophe ait eu le moindre goût pour une telle chimère. La Réfutation de Spinoza forme, dans la publication qui nous occupe, une brochure à part ; le reste se compose de deux volumes remplis des pièces les plus curieuses, mais dont on comprendra qu’il ne nous soit guère possible d’indiquer que les titres. Ce sont d’abord de nombreuses lettres, toutes en effet complètement inédites, à Foucher, à Bayle, à Fontenelle, à Hobbes, à Arnauld et à Fardella, qui augmentent d’une manière souvent très heureuse la correspondance déjà si riche de Leibnitz. Ce sont ensuite des fragmens ou mélanges du plus grand intérêt sur le cartésianisme, sur divers articles du Dictionnaire de Bayle, sur le système de Locke, etc., qui peuvent servir à confirmer ou à éclairer certains passages importons de la Théodicée ou des Nouveaux Essais. Enfin nous mentionnerons encore des traductions abrégées du Phédon et du Théétète, ouvrages qui sont peut-être de la jeunesse de Leibnitz, et de la même date par exemple que les thèses sur le Principe d’individuation et sur l’Art