Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelles étaient ces instructions ? C’est ce que M. Orsini ne dit pas, et ce qu’il est fort difficile de conjecturer. Pourquoi de Milan se rendre à Venise, à Trieste, à Vienne et jusqu’à Hermanstadt, au fond de la Transylvanie ? Voulait-on sérieusement que le hardi voyageur s’enrôlât dans l’armée autrichienne, ou n’était-ce qu’une feinte pour couvrir le but véritable au cas d’une arrestation ? Il ne serait pas impossible que M. Kossuth eût voulu associer la Hongrie aux projets conçus pour l’Italie, et peut-être les deux proscrits souhaitaient-ils de porter la désorganisation dans l’armée autrichienne, afin de frapper l’ennemi commun au cœur. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ces beaux plans n’étaient que chimères : on avait compté sans la vigilante police du saint-empire. À peine arrivé à Hermanstadt, M. Orsini est arrêté ; bien qu’on ne trouvât sur lui ni dans ses effets rien de compromettant, on n’eut garde de le relâcher. Sans savoir qui il était, la police avait flairé le conspirateur ; l’ordre d’arrestation était parvenu à Hermanstadt douze heures avant lui.

Je n’entrerai point dans le détail des souffrances que M. Orsini dit avoir subies à cette époque de sa captivité. Ce que nous aimons à reconnaître, c’est que, avec une louable sincérité, il dit le bien comme le mal, et ne cherche point à assombrir le tableau. De son récit, on peut conclure en somme que le régime des prisons autrichiennes s’est adouci, et que plusieurs complaisances sont autorisées aujourd’hui, qui étaient sévèrement interdites au temps de Silvio Pellico. Quoi qu’il en soit, d’Hermanstadt il fut ramené à Vienne, puis à Mantoue. La première partie de ce voyage fut très pénible. Le Danube n’était plus qu’une épaisse couche de glace, et le prisonnier voyageait tout le jour sans qu’il lui fût accordé un moment de répit pour réchauffer ses membres engourdis. Plus heureux, les gendarmes qui l’accompagnaient se relayaient toutes les cinq ou six heures. Dans les hôtelleries où l’on passait la nuit, M. Orsini, quoique malade, était gardé à vue, et à chaque issue de la chambre un soldat montait sa faction, la baïonnette au bout du fusil. On n’eût pas fait plus pour M. Mazzini lui-même.

La police put facilement se convaincre à Vienne, par les interrogatoires, qu’elle avait mis la main sur un de ces hommes qui font beaucoup de bruit pour rien, et qui ont plus d’audace que d’habileté. Poussé dans ses derniers retranchemens, M. Orsini avoua qu’il ne s’appelait point Hernagh, mais il refusa de dire son véritable nom. Était-ce pour ne pas faire connaître son passé ? Il aurait dû comprendre que ses réticences mêmes feraient supposer pis encore. Voulait-il, comme il le dit à la police, éviter à sa famille l’humiliation de savoir un des siens dans les fers ? C’était oublier que le crime fait la honte et non pas l’échafaud. Une seule de ses réponses nous met sur la trace de son véritable génie : il se donna pour Toscan, et demanda à être envoyé dans son prétendu pays. « Pour m’y conduire, dit-il, on m’aurait fait passer dans des contrées que je connaissais bien, et où je pouvais avoir chance de m’échapper. »

Sans tenir compte de sa demande, on l’écroua au fort Saint-George, dans cette place de Mantoue qui donna tant de mal au général Bonaparte en 1796. Il était renvoyé devant la cour spéciale de justice instituée après les événemens de 1848 pour juger les prisonniers politiques. Ce tribunal avait déjà bien mérité du gouvernement autrichien en condamnant à mort, en faisant exécuter une foule de patriotes. Les noms de ces infortunées victimes revenaient