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loyale physionomie d’Antoine Wohlfart va toujours grandissant de scène en scène. L’oisiveté a compromis le blason des Rothsattel, comme le travail a donné une noblesse à Wohlfart. Le jour où le baron de Rothsattel veut travailler aussi et relever sa fortune, ignorant les conditions du bien, il est dupe des intrigans les plus vils, il confond la spéculation avec le labeur honnête : gagner vite, gagner comme un joueur, voilà toute l’ambition de ce gentilhomme. C’est un triste spectacle. Antoine Wohlfart est initié au travail par un guide éprouvé, et sous cette direction virile l’enfant devient un homme, Le baron de Rothsattel est initié à la spéculation par des juifs qui se partagent déjà sa fortune, et le fier descendant des chevaliers teutoniques va se montrer crédule comme un enfant. On le voit descendre pas à pas dans l’abîme. De hideuses figures l’environnent. C’est le juif Ehrenthal, c’est son agent Veitel Itzig, et là-bas, dans cet antre, dans ce bouge infect, l’homme d’affaires Hippus, un artiste en fait d’intrigues et de machinations ténébreuses, qui, surveillé de près par la police et ne pouvant plus faire le mal pour son propre compte, donne des leçons de vol à tant le cachet. Veitel est son élève, un digne élève qui appliquera immédiatement à son maître les leçons qu’il a reçues de lui. Cette foule d’êtres déclassés que produit la fièvre industrielle de notre âge est représentée ici avec une singulière vigueur ; ils entourent, ils pressent de toutes parts la société qui travaille, et quiconque ne suit pas les chemins réguliers est contraint de frayer avec eux. Le noble qui ne veut pas se soumettre comme le bourgeois à la condition laborieuse du monde moderne sera nécessairement l’associé d’un Ehrenthal, la victime d’un Veitel Itzig et d’un Hippus. Pauvre baron de Rothsattel, si noble encore malgré ses fautes, qui le sauvera ? qui travaillera pour lui ? Ce n’est pas en vain que l’auteur a mis la brillante Lénore sur le chemin d’Antoine Wohlfart le jour où Antoine, le bâton à la main et le sac sur l’épaule, s’en allait à la ville. Antoine se dévouera pour le père de Lénore ; le tiers-état va sauver la noblesse.

Voici la belle partie du récit, la plus neuve, la plus originale. Antoine Wohlfart est auprès des Rothsattel. Comment n’eût-il pas répondu au cri de détresse de Lénore ? Le baron, menacé du déshonneur, avait voulu se brûler la cervelle ; mais le coup, détourné subitement par une main amie, n’avait atteint que les yeux. Le baron de Rothsattel est aveugle, et la ruine est là ; les créanciers frappent à la porte, il faut débrouiller au plus vite les affaires du baron. Wohlfart accourt, il se met à l’œuvre, règle les comptes, vend ce qui peut se vendre, oblige la baronne et sa fille à se défaire de leurs bijoux ; puis, essayant de sauver les dernières ressources de la famille, il conseille au baron de faire valoir lui-même un domaine