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faire éclate à chaque page. Souvent même l’ambition de l’auteur ne s’arrête pas à temps. Dans la crainte de blesser les délicats en parlant trop simplement, il devient subtil et perd de vue la clarté. Des idées qui garderaient toute leur grâce native en gardant leur simplicité se transforment à son insu, quand il essaie de les traduire dans une langue savante. Le maniement des images, qui ne lui est pas familier, ralentit la marche de son récit. Cependant, malgré ce défaut purement technique, le Pays latin devait réussir, et a réussi. Les personnages, plus sérieux que dans la Vie de Bohême, ne sont pas dessinés avec moins de franchise. Les pages laborieuses dont je parlais tout à l’heure ne sont pas en assez grand nombre pour altérer le caractère de la composition. Si le récit n’avance pas toujours assez vite, il intéresse toujours. Moins naïf, moins spontané que dans son premier ouvrage, le talent de M. Murger garde encore une physionomie à part. Si l’auteur n’a pas eu le temps d’achever son éducation littéraire, on reconnaît avec plaisir qu’il y a chez lui un fonds excellent. S’il n’a pas étudié les modèles avec assez de soin, il possède ce qui ne se trouve pas dans les livres, l’art d’observer les hommes, de pénétrer les motifs de leurs actions. Et puis, dans les scènes qu’il raconte, les personnages sont animés d’une passion sincère. Ils vivent et ne posent pas ; ils parlent pour exprimer ce qu’ils sentent. Le tort de l’auteur est de vouloir parler moins simplement que ses personnages. On s’est demandé pourquoi il prenait toujours le sujet de ses compositions parmi les souvenirs de sa jeunesse, pourquoi il n’essayait pas de peindre un monde plus élevé que le monde du quartier latin. La réponse est facile : il ne veut pas dessiner au hasard des figures qu’il ne connaît pas. Il représente de son mieux ce qu’il a vu. Plus tard, quand il aura étudié d’autres passions, d’autres mœurs, quand le monde fermé à sa jeunesse lui aura livré ses secrets, il changera certainement le thème de ses récits. Les œuvres qu’il a signées, sans le placer encore parmi les plus habiles, lui ont concilié l’estime de tous ceux qui aiment la sincérité dans les créations littéraires comme dans les relations de la vie. J’aime à croire d’ailleurs qu’il n’a pas dit son dernier mot.

Le nom de M. Amédée Achard était connu depuis quelques années comme celui d’un conteur ingénieux, mais qui attachait plus d’importance aux détails spirituels qu’à la composition proprement dite. La Robe de Nessus a forcé le public de changer d’avis à son égard. Si la fable de ce récit n’est pas encore aussi simple qu’on pourrait le souhaiter, il faut cependant reconnaître qu’elle est conçue avec adresse et ne franchit jamais les limites de la vraisemblance. C’est tout à la fois une étude de mœurs et une étude de caractère. Le sujet, traité par un esprit morose, deviendrait facilement lugubre ; sous la