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ses souvenirs personnels, il eût agi avec plus d’adresse en respectant le caractère du narrateur. Le portrait d’Hadgi Stavros, tracé par un personnage qui n’aurait pas respiré l’air des salons de Paris, qui ne serait pas sceptique à la manière de Zadig, serait plus original, plus intéressant. À part les premières pages, où nous voyons Hermann Schultz dans toute sa simplicité native, le récit tout entier est trop évidemment écrit par M. About. J’aurais aimé à voir la corruption, l’effronterie, la friponnerie racontées par un homme crédule, confiant, étonné de ce qu’il entend. Dès que le narrateur saisit à demi mot les intentions du héros dépravé dont il nous offre la vie, le lecteur à son insu accueille sans étonnement la dépravation, et le coquin est bien près de passer honnête homme. M. About, dans le Roi des Montagnes, a montré trop de finesse pour ne pas comprendre la valeur de cette objection. C’est une objection purement poétique, étrangère à toute pruderie. Ce n’est pas la cause de la vertu que je plaide en ce moment, c’est la cause du goût, qui se trouve confondu avec le bien par la nature même des choses. Si Hermann Schultz s’étonnait plus souvent de ce qu’il raconte, Hadgi Stavros garderait son caractère, et le lecteur comprendrait mieux ce que l’auteur pense du Roi des Montagnes. Au lieu de s’identifier avec le botaniste allemand, M. About a choisi le parti contraire ; il a fait du fils de l’aubergiste un Sceptique français qui ne s’étonne de rien, qui raconte en souriant les traits les plus effrontés, qui traité avec tant de bienveillance le coquin qu’il a connu, que les âmes candides peuvent à la rigueur douter de sa droiture. Le plus grand nombre des lecteurs ne saurait s’y tromper, je ne l’ignore pas. Cependant, en demeurant dans le domaine poétique, je persiste à croire que le caractère d’Hermann Schultz, dessiné avec autant de soin que celui d’Hadgi Stavros, aurait donné au Roi des Montagnes plus d’intérêt et de vérité. Il me reste à souhaiter que M. About ne se laisse pas égarer par le succès de cet amusant récit, et ne s’en tienne pas, comme il l’a fait jusqu’ici, à de spirituelles ébauches. Il possède dès à présent tout ce qu’il faut pour, réussir ; il dépend de lui de marquer sa place parmi les écrivains qui préfèrent une solide renommée aux applaudissemens des salons. Qu’il produise plus lentement, qu’il se ménage, qu’il ne jette pas son esprit aux quatre coins de l’horizon, et nous serons heureux de louer ses œuvres laborieuses, comme nous louons aujourd’hui ses boutades et ses ébauches.

Les premiers essais de M. Henry Murger ont été accueillis par la jeunesse avec une vive sympathie ; les hommes d’un âge mûr s’étonnaient un peu de la popularité si rapidement acquise par le nouveau venu. Chez quelques-uns, l’étonnement allait même jusqu’à la colère. La Vie de Bohême excitait l’indignation des esprits moroses qui