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Cependant, si le Roi des Montagnes offre une lecture amusante, on a droit de s’étonner qu’un tel livre ait été conçu par un écrivain aussi jeune que M. About. Cette mordante ironie, qui attaque sans pitié toutes les actions de la vie, n’est pas d’ordinaire le partage de la jeunesse. Pour découvrir si habilement, pour montrer ; avec tant de finesse le côté ridicule ou du moins le côté dangereux de toutes les croyances, il faut avoir vécu longtemps, et M. About est à peine entré dans la virilité. C’est une question que chaque lecteur se pose dès qu’il connaît l’âge de l’auteur. Son livre est plein de bonne humeur, et pourtant, quand on a tourné la dernière page, on ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse. Pourquoi Zadig n’éveille-t-il pas un sentiment pareil ? C’est que Voltaire n’essaie pas un seul instant de nous donner les acteurs de son récit pour des acteurs réels. L’amertume de l’ironie est tempérée par les artifices de l’imagination. Dans le Roi des Montagnes, tout se réunit pour nous persuader que : nous sommes en face de la réalité. L’imagination joue un rôle si modeste, que nous prenons pour vrai tout ce qui est raconté, et le triomphe du coquin finit par nous attrister. La crédulité de ses dupes a beau nous amuser tant que dure la lecture, le sens moral reprend le dessus, et le découragement succède à la gaieté. On se demande ce que deviendrait la vie des peuples, si Hadgi Stavros trouvait de nombreux imitateurs, si la finesse de ses reparties excitait une admiration contagieuse ; mais je ne veux pas insister sur ce point, car ce serait montrer pour une œuvre légère trop de sévérité. D’ailleurs il y a lieu de penser que M. About n’a pas songé un seul instant aux conséquences philosophiques de son récit. Il a trouvé dans ses souvenirs de voyage l’étoffe d’un roman plein de gaieté ; il a écrit d’une haleine les chapitres dont tous les élémens étaient réunis d’avance, et traiterait volontiers de pédans tous ceux qui s’aviseraient de le morigéner. Je consens donc à prendre son récit pour un simple jeu d’esprit, et je m’empresse de reconnaître qu’il a fait preuve d’une grande dextérité dans le maniement de l’ironie et dans la disposition des incidens.

Qu’il me permette pourtant de lui soumettre une objection qui n’a rien à démêler avec la morale. Le botaniste allemand dont il se donne comme l’écho, comme le secrétaire fidèle et désintéressé, me paraît un peu trop français. Hermann Schultz, chargé par la ville de Hambourg d’une mission scientifique, me semble mieux connaître les salons de Paris, que les habitudes bourgeoises de la famille. Pour le fils d’un aubergiste, à qui sa tante a donné un habit rouge brodé d’argent, il est un peu trop dégourdi. M, About, en transcrivant le récit d’Hermann, n’a pas respecté assez scrupuleusement la naïveté germanique. Puisqu’il avait résolu de ne pas parler en son nom, puisqu’il voulait nous donner comme les confidences d’un botaniste allemand