déshonneur en essayant de tirer de la fange une femme indigne de son amour qu’il espère réhabiliter.
Le roman revêt toutes les formes, son action sur l’esprit public est presque aussi puissante que celle du théâtre, et quoique très souvent il méconnaisse toutes les conditions littéraires, il doit être surveillé avec une attention vigilante. Neuf fois sur dix, la poétique n’a rien à voir dans les ouvrages qui portent ce nom, et si l’on ne s’attachait qu’à l’étude des questions techniques, on pourrait très loyalement négliger de s’en occuper ; mais en raison même de la frivolité de ses allures habituelles le roman présente plus d’un danger, et la critique méconnaîtrait ses devoirs, si elle passait sous silence les tendances qui se manifestent dans ce genre de travail. C’est un appât offert au désœuvrement, et la plupart des idées fausses qui s’accréditent dans la foule n’ont pas d’autre origine que le roman. Il y a vingt ans, les récits qui prenaient cette forme se proposaient l’étude des passions. Nous avons vu des tentatives heureuses auxquelles nous avons applaudi. L’effort était sérieux et méritait des encouragemens. Aujourd’hui les choses ont pris une autre face ; l’étude des passions paraît à peu près oubliée. Les romanciers qui jouissent dans la foule d’une popularité incontestée ne racontent que des aventures. Les livres qu’ils publient cherchent moins l’émotion que l’étonnement. Toute la poétique du genre se résume en trois mots : exciter la curiosité. Le désœuvrement s’accommode assez bien de cette poétique, je suis obligé de le reconnaître ; mais si la curiosité demeure pendant quelques années la loi suprême du roman, l’esprit public sera perverti pour longtemps. Je ne demande pas qu’on introduise dans les récits d’imagination un enseignement dogmatique ; cependant je ne puis m’empêcher de rappeler que toute narration doit porter en elle-même une moralité implicite. Or la peinture des joies et des souffrances de la passion satisfait à cette condition impérative, tandis qu’un livre où se déroulent des aventures sans nombre et sans fin ne laisse dans l’âme du lecteur qu’une impression stérile. Si les désœuvrés n’y prennent garde, s’ils continuent d’encourager sans relâche le roman d’aventures, ils se trouveront un jour pris au dépourvu, et resteront face à face avec l’ennui, qui les épouvante. La peinture de la passion est une source inépuisable d’émotions, tandis que les romans d’aventures ne sauraient se renouveler à l’infini. Aussi les désœuvrés, s’ils comprenaient leurs vrais intérêts, se détourneraient dès à présent de ces livres informes, où les dons les plus heureux sont gaspillés avec une prodigalité fanfaronne, et prennent la place des conceptions sérieuses.
À l’époque où florissait ce qu’on était convenu d’appeler le roman intime, on se plaignait à bon droit des raffinemens, des subtilités