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franchement les hommes qui, sans se préoccuper des types créés par le roman, s’abandonnent encore aux sentimens que suscite dans leur âme l’amour dédaigné ou partagé. Il est vrai que le nombre de ces modèles sincères, qui vivent librement et pour leur compte, est singulièrement diminué. Cependant il en reste encore assez pour exercer le talent de pluse d’un peintre. Si les personnages vraiment spontanés, ne relevant que d’eux-mêmes, ne se comptent point par milliers, ce n’est pas une raison pour déserter là tâche. Le choix est plus difficile, mais le but n’est pas moins glorieux qu’au temps de Lesage, et j’aime à croire que la vieille méthode sera bientôt remise en honneur. Je le crois d’autant plus volontiers, que les personnages réels, modelés sur les personnages imaginaires, ont introduit dans notre société un mortel ennui, et que les désœuvrés seront forcés de revenir au naturel, ne fût-ce que pour essayer de se désennuyer. C’est une chance dont nous devons tenir compte, et quand la vie réelle sera redevenue ce qu’elle était autrefois, quand eue sera rendue aux luttes sincères de la passion, au libre épanouissement du ridicule, les écrivains qui traitent le roman seront obligés de se réfugier dans la vérité, les récits extravagans seront accueillis avec une souveraine indifférence.

Je n’oserais conseiller la résurrection du roman historique, car Ivanhoé, malgré l’admiration unanime qu’il avait excitée en Europe, n’a pas donné au conteur écossais de rivaux sérieux. L’auteur de cet admirable roman avait pris la peine d’étudier l’histoire avant de mettre en scène les personnages du passé. Cette méthode laborieuse n’était pas à la portée d’un grand nombre d’esprits. Aussi avons-nous vu les imitations se multiplier en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, sans pouvoir égaler le solide mérite, le charme tout puissant d’Ivanhoé. L’auteur, mort depuis vingt-cinq ans, n’a livré son secret à personne. Non-seulement il était pourvu d’une immense érudition, mais il était doué d’une imagination inventive, et sa plume retraçait les épisodes les plus émouvans sans jamais recourir aux grands coups de théâtre. Il demeurait dans les limites de la vérité. Malheureusement la plupart des écrivains qui ont tenté de populariser parmi nous le roman historique n’ont pas agi avec la même discrétion. Je ne veux pas croire que cette méprise soit sans remède. Cependant Ivanhoé nous a valu tant de travestissemens du passé, qu’il serait plus sage peut-être d’attendre quelque temps avant de renouveler l’épreuve. L’histoire vraie compte encore parmi nous des partisans trop peu nombreux pour qu’il n’y ait pas témérité à choisir dans le passé des personnages de roman. Quand la vérité historique sera populaire, l’imagination pourra s’en emparer sans danger ; elle l’interprétera sans la dénaturer.