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une âme généreuse et sincère. Le souverain était renommé pour son patriotisme et son amour des arts. La conversation était cordiale autant que sérieuse ; du haut des terrasses d’où l’œil embrasse les montagnes et les plaines, le noble promeneur montrait à son hôte le mouvement de la ville, l’activité des champs, partout l’image du travail et les fruits de l’honnêteté. « Voilà l’Allemagne, » disait-il ; puis, pensant aux bouleversemens du passé, aux inquiétudes et aux défaillances du présent : « Si du moins, ajoutait-il, ce peuple se connaissait lui-même ! Si les poètes lui rendaient l’énergie et la foi en lui montrant ce qu’il est ! » Il continuait ainsi, traçant le rôle d’un poète avec un cœur de roi. À ces paroles, qui retentissaient dans son âme et y réveillaient maintes pensées assoupies, l’écrivain se reprochait sans doute d’avoir été trop souvent le peintre des existences blasées ; il formait le projet de peindre la véritable Allemagne, l’Allemagne honnête, dévouée, qui accroît dans l’ombre le trésor des vieilles mœurs. N’était-ce pas là ce qu’avait fait M. Auerbach dans ses Histoires de village ? N’était-ce pas aussi le conseil de M. Julien Schmidt ? Par cette belle soirée de mai, au milieu des enchantemens de la nature, les principes littéraires de ses amis, commentés par une bouche souveraine ; prenaient une valeur inattendue. Cette union des artistes et du prince dans une même pensée patriotique avait je ne sais quelle grâce patriarcale bien faite pour charmer une imagination germaniques le poète emporta de cette soirée un souvenir qui ne s’effaça pas. Deux années s’écoulèrent ; la guerre d’Orient venait d’éclater, l’Allemagne était neutre dans ce grand conflit, et à ce moment où bien des cœurs généreux souffraient, le poète avait terminé son roman du travail ; il le dédiait respectueusement à celui qui l’avait inspiré au prince qui dès le premier jour avait pris parti pour la société occidentale. Le poète, c’est M. Gustave Freytag, l’auteur de Valentine et du Comte Waldemar’ le prince est le grand-duc régnant de Saxe-Cobourg-Gotha.

Le roman de M. Freytag est certainement une peinture bien allemande. Ce qui me frappe tout d’abord, c’est que l’Allemagne d’aujourd’hui y est franchement décrite, avec ses qualités et ses défauts. L’écueil de l’écrivain était la reproduction pédantesque des vieilles mœurs, un tableau artificiel et sentimental inspiré de la Louise de Voss par exemple, ou des drames bourgeois d’Iffland. La tradition de l’honnêteté et du travail s’est conservée dans les villes germaniques, mais chaque temps a son caractère. M. Freytag est bien de son époque. Rien de fané dans son œuvre, rien qui sente un archaïsme de convention. Ses personnages sont nouveaux et vrais, et, une fois qu’on a ouvert le livrer le récit vous entraîne. On ne ressent pas cette curiosité hâtive et fiévreuse qu’inspirent certaines œuvres de