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LE ROMAN


EN 1857




L’écrivain sincère qui veut dire franchement ce qu’il pense des œuvres de son temps, est placé dans une condition singulière. S’il s’occupe des hommes célèbres, des poètes, des historiens, dont la renommée est consacrée depuis longtemps, et se permet de parler d’eux avec une entière liberté, on l’accuse d’irrévérence, et parfois même on le traite d’impie. Ceux mêmes qui tout bas lui donnent raison sont les premiers à le blâmer tout haut. Pour donner à leur colère plus de grandeur et d’autorité, ils invoquent au besoin l’amour de la patrie. — Ce n’est donc pas assez d’avoir contre nous l’injustice de l’étranger ? Vous n’attendez pas que les nations voisines décrient nos grands hommes, vous leur donnez le ton. Étrange manière d’aimer, d’honorer son pays ! — Cette accusation ridicule trouve de nombreux échos, et la foule ignorante finit par croire que discussion franche est synonyme de méchanceté. Ceux qui signalent les faiblesses des grands hommes répondraient en vain qu’ils les signalent dans l’intérêt de la génération nouvelle, et que la sincérité dans le blâme se concilie très bien avec l’admiration. Cet argument ne leur réussit guère. Tout à l’heure on les accusait de méchanceté, maintenant on les accuse d’hypocrisie. Pour admirer les belles œuvres du génie, il faut posséder un cœur généreux, et la pratique de la discussion tarit la source des grandes pensées chez ceux mêmes que le ciel avait le plus heureusement doués. Toute admiration qui n’est pas absolue est une admiration mensongère. Ceux qui ont voué leur vie à ce vilain métier qu’on nomme la critique ont parfois recours à l’éloge pour se faire pardonner leurs méchans quolibets. Comme ils désespèrent de trouver chez le lecteur la sécheresse d’âme où ils