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grandes barbaries qu’on puisse commettre, surtout aux yeux d’un membre de l’Académie des inscriptions. Les papes qui ont placé tant d’inscriptions à tous les coins de Rome auraient au moins dû respecter celles que l’antiquité à laissées.

Un pèlerin allemand du moyen âge a recueilli les épitaphes des divers personnages de la famille des Antonins qui ont pris successivement place dans le mausolée d’Adrien : injustice du hasard ! celle de Marc-Aurèle avait péri, celle de Commode était conservée.

Le mausolée d’Adrien a, dans les temps modernes, une histoire encore plus importante et plus longue que le Colisée. Depuis le Ve siècle, ce tombeau gigantesque a été la forteresse de Rome. Bélisaire la défendit contre les Goths. Au Xe siècle, elle fut occupée par Théodora et Marozia, ces femmes qui donnaient la papauté comme Plotine donnait l’empire, et par Crescentius, ce précurseur de Cola Rienzi, qui, quatre siècles plus tôt, rêva aussi la résurrection de la république romaine. Clément VII y a été assiégé par les troupes de Charles-Quint, et, si l’on en croit Benvenuto Cellini, de là fut tiré par lui le coup qui termina les jours du connétable de Bourbon. Aujourd’hui le monument que se disputèrent tous les chefs des factions romaines au moyen âge est un corps-de-garde français ; dépouillé de tout caractère historique, il a perdu même le privilège d’être le théâtre de la girandola, ce feu d’artifice qu’on tire le lendemain de Pâques, et qui, éclairant par intervalles cette masse sombre et faisant resplendir les noires eaux du Tibre, produisait un effet que rien ne peut remplacer. Le sommet de la ruine antique est déshonoré par une habitation moderne : au-dessus des créneaux dont le moyen âge l’avait hérissée, on aperçoit un cadran d’horloge entre des persiennes. Elle a perdu son nom dans l’usage ordinaire et s’appelle le château Saint-Ange à cause de la statue de bronze érigée en mémoire de l’archange Michel, qui de là, pendant une peste, apparut un jour au pape saint Grégoire, remettant son glaive dans le fourreau pour avertir que la contagion allait cesser ; légende poétique, mais moins belle que les paroles du général français qui, sommé de se rendre, répondit : Je me rendrai quand l’ange de bronze remettra son épée dans le fourreau. De tous ces souvenirs, le plus touchant est celui des deux premiers Antonins, dont les cendres ont consacré le mausolée d’Adrien. Chaque fois que les yeux s’arrêtent sur le plus grand des édifices romains encore debout dans son entier, on se félicite qu’il soit resté un pareil monument de la mémoire de ces deux hommes, mémoire la plus pure et la plus sainte qu’il ait été donné à des souverains de léguer aux hommages de l’histoire et aux bénédictions du genre humain.


J.-J. Ampère.