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médecin Hermogène lui avait désigné, afin qu’étant frappé là mortellement, il pût expirer sans souffrir. Et cela même n’ayant pu lui réussir, car Mastor, troublé de ce qu’il allait faire, s’était enfui plein de terreur, Adrien gémit amèrement sur cette maladie et sur son impuissance à recevoir la mort, lui qui avait pu la donner aux autres. »

Adrien languit quelque temps encore dans la villa qui vit ce long supplice, et dont le charme ne put l’adoucir : supplice mérité, que retracent les beaux débris de cette villa, aujourd’hui en ruines, parmi lesquels croissent de grands cyprès, et que rappellent aussi les portraits d’Adrien. Sa bouche, qui avait dicté d’homicides arrêts, semble encore s’entr’ouvrir pour laisser passer le sang qui devait l’inonder à ses derniers momens. Cette mort, semblable à celle que la tradition attribue à Charles IX, lui aussi ami des arts et faisant des vers, cette mort fut celle de l’aimable Adrien. Le sénat, toujours courageux contre les empereurs défunts, refusait de décerner à celui-ci les honneurs divins ; il ne les accorda qu’aux larmes d’Antonin et aux menaces des soldats. Les cendres de l’empereur mort à Baies, qui avaient été déposées provisoirement dans une villa de Cicéron, furent apportées à Rome et placées dans le mausolée colossal qu’Adrien avait fait construire pour les recevoir.

Sauf le temple de Vénus et de Rome, conçu dans sa vanité d’artiste et comme un défi adressé à Apollodore, Adrien n’a point élevé à Rome de monument qui eût un but d’utilité publique, point d’aqueduc, point de basilique, de bibliothèque, de forum, comme Trajan. Presque tout ce qu’il bâtit, il l’a fait dans un sentiment personnel ; j’en excepte le temple de Trajan et celui de Plotine ; il ne pouvait du reste se dispenser de cet acte de reconnaissance, quand il en érigeait à sa tante Marciane, à sa cousine Matidie, à toutes les femmes de sa famille, excepté à Sabine, son épouse. Son mausolée était une œuvre d’orgueil et d’égoïsme : il, voulut, comme Auguste, reposer dans une de ces gigantesques sépultures de l’Orient. Il avait dû voir dans ses voyages la fameuse tombe de Mausole, une des sept merveilles du monde. Le mausolée d’Adrien était encore un souvenir et une reproduction d’un édifice célèbre, comme les constructions de sa villa.

Le pont qu’il bâtit fut entrepris aussi dans une pensée purement personnelle. Tout à côté était le pont triomphal qui conduisait à la voie Aurélia ; le sien, inutile au public, ne conduisait qu’à son tombeau : c’est le pont qu’on traverse pour aller à Saint-Pierre ; à une arche près, qui est moderne, rien n’y a été changé que les parapets. Les anges du Bernin ont remplacé des statues probablement d’un meilleur goût qui le décoraient. Les autres ponts de la Rome antique n’ont pas été aussi bien conservés ; mais chaque pont de la Rome moderne correspond à l’un d’entre eux, et même, quand on a établi un pont en fil de fer, on lui a donné pour base les piles du Ponte-Rotto,