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Quels produits de l’art égyptien a introduits dans Rome cette conquête ?

Les Romains ne daignèrent prendre aux Égyptiens que leurs obélisques. Ces fortes masses de granit leur plaisaient. Ils s’en servirent pour décorer leurs cirques, une fois pour orner une sépulture impériale, une autre fois pour fournir une grande aiguille à un cadran solaire, une autre enfin pour simuler le mât du vaisseau dont ils avaient donné la forme à l’île Tibérine. Outre les obélisques enlevés à l’Égypte, les Romains en commandèrent pour leur propre compte, comme le prouve celui de la place Navone, que j’ai mentionné, et qui porte écrit en caractères hiéroglyphiques les noms des Flaviens. Quant aux statues égyptiennes, les Romains ne semblent pas s’en être souciés beaucoup. Celles qu’on a trouvées à Rome provenaient en général des temples consacrés à des divinités égyptiennes, et y avaient été apportées avec le culte de ces divinités par suite de l’invasion de la religion d’Isis et de Serapis, invasion tantôt combattue, et tantôt tolérée, dont je ferai plus tard l’histoire[1].

Au temps d’Adrien, la sculpture égyptienne fut l’objet d’une plus grande faveur. Adrien en goûta le mérite, grâce à son éclectisme universel, et par son ordre ou pour lui plaire, les artistes firent de l’égyptien comme ils faisaient du grec. On a rassemblé dans une salle du Musée-Grégorien une collection de ces contrefaçons romaines de la sculpture de l’Égypte. Sauf l’Antinoüs dont j’ai parlé, les produits de cette sculpture d’imitation, bien que datant d’une époque encore brillante de l’art romain, ne sauraient le disputer à leurs modèles. Pour s’en convaincre, il suffit de les comparer aux statues vraiment égyptiennes qui remplissent une salle voisine. Dans celles-ci, la réalité du détail est méprisée et sacrifiée ; mais les traits fôndamentaux, les linéamens essentiels de la forme sont rendus admirablement. De là un grand style, car employer l’expression la plus générale, c’est le secret de la grandeur du style, comme a dit Buffon. Cette élévation, cette sobriété du génie égyptien ne se retrouvent plus dans les imitations bâtardes du temps d’Adrien. Les divinités de l’Égypte n’ont pas plus conservé leurs types que leurs attributs. En voulant singer l’égyptien, on tombe dans la raideur sans arriver au sublime, et au lieu de quelque chose de puissant et d’expressif, on produit quelque chose d’insignifiant et de mort : copies effacées où disparaissent dans la sécheresse et la froideur la grandeur sévère et la vie énergique, bien qu’enveloppée, de la statuaire égyptienne.

Tel fut l’art égyptien à Rome sous Adrien. L’art grec, ce modèle

  1. ) Parmi ces statues, il faut signaler les lions qui gardent l’escalier du Capitale, et qui, bien différens de ceux dont j’ai parlé, quoique très beaux aussi, sont purement égyptiens.