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autre théologien disciple de saint Thomas, qui était de plus un grand poète et un poète très orthodoxe, Dante, n’a pas hésité à placer Trajan dans son Paradis.

Je ne suis pas sorti de mon sujet en racontant cette belle légende, car c’est à elle qu’un des plus remarquables monumens de Rome, la colonne Trajane, et ce qui reste de la basilique ulpienne doivent peut-être leur conservation. Au XIIe siècle, la municipalité de Rome prit, par un arrêté, des mesures pour protéger ce qui subsistait des édifices construits par Trajan à cause des vertus de cet empereur, qui lui avaient mérité le ciel.

Entre Trajan et son successeur Adrien, la différence est grande. Adrien eut des dons brillans et beaucoup d’esprit ; mais il ne fut point un bon empereur, et il fut un empereur cruel. On ne l’a pas assez dit, et Gibbon l’a trop oublié. Cependant son biographe nous apprend qu’il débuta par faire mourir quatre personnages considérables, ce qui le rendit d’abord très odieux, et que dans la suite il en mit beaucoup d’autres à mort, soit ouvertement, soit par des moyens cachés. Adrien fut donc loin d’être un bon prince, quoiqu’il ne fût pas dénué de bonnes qualités ; mais il était mobile, divers et ondoyant, comme parle Montaigne, d’un génie envieux, triste, lascif, rusé, dit son historien, et réunissant tous les contrastes. Son visage lui-même, qui semble mobile comme son âme, ses portraits, d’une expression si diverse, où on lit tour à tour et quelquefois tout ensemble l’intelligence et la méchanceté, la dureté et la finesse, font bien comprendre cette nature complexe, où le mauvais dominait. Tel est l’Adrien de l’histoire : ce n’est pas tout à fait celui qui a cours dans les livres, mais c’est le vrai. On vient de voir que j’admire volontiers ce qui mérite l’admiration ; l’admiration toutefois n’a de prix et de sens que lorsqu’elle distingue ce qui doit être distingué. Il ne faut pas que l’histoire ressemble à ces personnes accommodantes qui disent un peu de bien de tout le monde, et ne veulent se brouiller avec personne, ce qui ôte toute valeur à leurs éloges. C’est ce qu’on a fait trop souvent pour Adrien, qui était un assez méchant homme, un souverain assez ordinaire, et que l’on place sur la même ligne que le grand souverain qui l’a précédé, Trajan, et les deux saints du paganisme qui l’ont suivi, Antonin le Pieux et Marc-Aurèle, formant de ces quatre règnes ce qu’on appelle le siècle des Antonins, quoique Adrien ne soit pas plus un Antonin que Trajan, et, ce qui est plus important, ne ressemble en rien aux Antonins.

Trajan ne voulait point adopter Adrien. Dion Cassius dit même qu’il ne l’avait point adopté, et que lorsqu’on apprit à Rome que l’empereur venait de mourir en Asie, l’impératrice Plotine, qui aimait Adrien, le lit élire. Quelques-uns prétendirent qu’on avait remplacé Trajan mort dans son lit par un imposteur qui désigna le protégé