Il témoigna des inquiétudes de même nature contre des associations d’artisans. Ici se produit le principe de centralisation absolue qui était le principe de l’empire, et l’horreur des associations indépendantes, propre à tout gouvernement reposant sur la centralisation.
Dans les réponses de Trajan à Pline, qui du reste sont toujours des modèles de bon sens, de gravité, de cette noble concision qu’on a si bien appelée imperatoria brevitas, on voit ce qu’était cette centralisation de l’empire romain. Pline s’adresse à l’empereur sur les plus minces intérêts d’une ville d’Asie ; l’empereur répond et décide toujours, soit qu’il s’agisse d’un bain que les habitans de Prusium voudraient construire, soit que les citoyens d’Amasie demandent la permission de faire couvrir un ruisseau fétide. Il est admirable sans doute à Trajan de trouver le temps de prononcer surtout cela, il fait preuve d’une prodigieuse activité administrative ; mais quel périlleux système que celui où il est besoin que le souverain fasse tout, et dont la perfection suppose un empereur parfait !
Oh peut dire que Trajan fut cet empereur : comme homme public, je ne sais pas s’il est un reproche qu’on puisse lui adresser ; mais lui-même pouvait-il accomplir ce qu’il dit à Pline être son dessein, s’occuper du sort des hommes dans chaque lieu ? Évidemment non, et pendant ses campagnes j’imagine que bien des intérêts locaux durent demeurer en souffrance, bien des villes attendre la construction d’un bain ou la réparation d ! un égout.
Mais c’était la faute du système, non de l’homme. Le système était mauvais, l’homme excellent. Il fut digne de porter le nom de très bon, qu’on n’avait avant lui donné qu’à Jupiter, et qui lui convenait beaucoup mieux qu’à Jupiter ; il mérita qu’après lui on adressât aux empereurs qu’on voulait le plus flatter cette louange : « Plus heureux qu’Auguste, meilleur que Trajan. » Le moyen âge, qui a traduit souvent en légendes bizarres les grands souvenirs de l’antiquité, a consacré celui que Trajan avait laissé par une légende extraordinaire et touchante. Il a cru, et cela honore les consciences de ce temps-là, qu’un si bon empereur ne pouvait être damné. Un instinct de tolérance que je me sens fort disposé à respecter dans sa naïveté a fait attribuer à Dieu un miracle pour ne pas lui attribuer une injustice. Le pape saint Grégoire, touché des vertus de Trajan, avait demandé qu’il fût sauvé, et l’avait obtenu. Des docteurs ont combattu pour l’irrémissibilité de la damnation ; mais des saints ont accepté le pardon de Trajan. L’église grecque a mis dans son rituel cette phrase : « O Dieu, pardonne-lui comme tu as pardonné à Trajan par l’intercession de saint Grégoire. » L’ange de l’école, qui est à la fois un saint et un docteur, a cherché à expliquer comment on pouvait admettre sans hérésie cette tradition charitable, et c’est pourquoi un