Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fidèle, quoique assez indigne interprète, cette attente ne devait pas être remplie. Trajan devait mourir en Cilicie, sans revoir Rome, où ne triompha que son image. Sa cendre seule devait y rentrer pour aller prendre sa place sous la colonne à la fois triomphale et sépulcrale qu’il s’était bâtie. La gloire militaire de Trajan nous a conduits à ses arcs de triomphe, sa mort nous ramène à son tombeau.

La colonne et la basilique trajanes, le forum trajan, furent l’œuvre d’un architecte grec nommé Apollodore. On reconnaît la perfection de l’art grec, dans la construction de la colonne, à la manière dont se joignent les tambours de marbre superposés, dans l’intérieur desquels est taillé l’escalier. L’idée première du monument est peut-être grecque, comme l’architecte. Celui-ci peut l’avoir empruntée à une colonne qui portait à Alexandrie le nom de Paneion ; mais le Paneion servait seulement à voir ce qui se passait dans la ville, nulle pensée guerrière et triomphale ne s’y joignait, et c’est là ce qui fait si romain le monument d’Apollodore[1].

Une inscription qui se lit encore à la base de la colonne apprend que pour créer son forum et sa basilique, Trajan supprima une colline qui unissait le Capitole au Quirinal, et il voulut que la colonne qu’il élevait indiquât par sa hauteur l’abaissement du sol, qui était de 100 pieds. La colonne Trajane a tout juste 100 pieds romains. C’est un gigantesque étalon métrique. On s’en est servi pour déterminer avec précision le mille romain, et par là on a retrouvé des localités voisines de Rome dont la distance était indiquée par les auteurs. Les inégalités naturelles aplanies, une destination utile unie à la perfection des matériaux et à la beauté de l’art, on conviendra que tout cela est bien romain.

Trajan n’était pas un lettré, c’était un patricien et un soldat, mais il aimait et favorisait les lettres. Il mit au pied de sa colonne deux bibliothèques comme sous la protection de sa gloire, consentant même à ce que par là les trophées sculptés sur la base du monument triomphal fussent cachés ; on reconnaît cette modestie, cette insouciance de toute vanité qui le caractérisait. L’une de ces bibliothèques était grecque, et l’autre latine. Trajan y avait fait placer, ou dans la basilique voisine, les statues des écrivains célèbres, et c’était un grand honneur d’y être admis. Cet honneur s’accordait encore au VIe siècle ; on sait qu’il fut décerné à un poète nommé Merobaude et à notre Sidoine Apollinaire. Ces hommes, dont l’un portait un nom qui trahit son origine barbare, dont l’autre fut un bel esprit et un évêque de la Gaule, eurent tous deux le plaisir de voir leur statue figurer dans la bibliothèque de Trajan avec les écrivains dont ils étaient les derniers descendans.

  1. En Grèce, on plaçait sur une colonne les statues des athlètes victorieux.