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quelquefois avec une expression de sombre fierté, car l’art romain avait la noblesse de ne pas humilier les vaincus ; il ne les représentait point à genoux, foulés aux pieds par leurs vainqueurs ; on ne donnait pas à leurs traits étranges un aspect qu’on eût pu rendre hideux, on les plaçait sur le sommet des arcs de triomphe, debout, la tête baissée, l’air triste.

Summo tristis captivus in arcu.

Ce pouvait être une place d’honneur, car c’est celle des soldats qui représentent la gloire de nos différentes armes sur l’arc de triomphe du Carrousel. Deux statues de chefs barbares personnifient surtout énergiquement ces races, qui luttaient contre la conquête romaine et gardaient leur fierté jusque dans la défaite. Ces statues en basalte noir se voient au fond de la cour du palais des Conservateurs, au Capitole ; l’un des deux Barbares a un nez court et écrasé qui le rapproche des races tartares et rend plus farouche encore l’expression de son visage féroce. Malgré l’analogie de ces deux statues avec celles des captifs daces qui ornaient l’arc de triomphe de Trajan, je ne veux pas croire qu’elles en proviennent, car l’une d’elles a certainement les poignets coupés. Le vainqueur a mutilé le corps sans pouvoir dompter l’âme. Dans l’enfoncement obscur où ils sont placés, derrière une grille en fer qui les sépare des spectateurs, ces noirs et terribles personnages apparaissent comme une menace du monde opprimé.

Plusieurs arcs de triomphe furent élevés à Trajan, l’un dans le grand Forum, un autre dans le sien. Il les méritait bien, car sa vie fut une suite de guerres presque toutes heureuses. Le sénat lui avait accordé de triompher autant de fois qu’il lui plairait. Trajan n’abusa point de la permission. Pline, qui parle de sa première entrée triomphale dans Rome, a fait dans son panégyrique une vive peinture de l’enthousiasme universel, et elle doit être vraie : après avoir eu Domitien, on avait Trajan. Pendant ses guerres d’Asie, on l’attendait avec transport. Martial, qui avait tant chanté Domitien, célébrait d’avance le triomphe de Trajan, il voyait déjà tous les arbres du Champ-de-Mars et toutes les maisons illuminées, car les illuminations jouaient un grand rôle dans les fêtes de la Rome ancienne comme de la nouvelle. Rome tout entière lui apparaissait dans la voie Flaminienne,

Totaque Flaminiâ Roma videnda viâ,

ainsi qu’elle y est tout entière en effet de nos jours, non pour voir le triomphe de Trajan, mais pour voir passer le carnaval, car la voie Flaminienne s’appelle aujourd’hui le Corso ; mais cette attente générale et empressée dont Trajan était l’objet, dont Martial était le très