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que les Romains ont pu sauver est apporté dans le camp. Trajan fait à ses soldats la distribution de vivres appelée congiaire.

Après cet avantage, les Romains coupent des arbres et se fortifient de nouveau, ils radoubent leurs bâtimens pour pénétrer plus avant ou se ménager une retraite par le fleuve ; l’ennemi fait un dernier effort et vient encore une fois les attaquer dans leur camp : il est repoussé. Découragés enfin, les chefs apportent des présens et demandent la paix, tandis que la cavalerie romaine poursuit les fuyards dispersés dans la forêt. La tête du roi Décebale est montrée aux soldats dans le camp comme elle sera bientôt montrée dans le Forum romain. Enfin une dernière scène, vive et pathétique, représente les Barbares se retirant devant le vainqueur et entraînant leurs troupeaux dans une région de montagnes, comme l’indique un torrent, loin des lieux habités ; on en est averti par la présence de diverses bêtes sauvages. Un homme et une femme qui fuient se retournent ; ils regardent sans doute une dernière fois du côté où était leur village détruit, leur maison brûlée, leur pays envahi et asservi ; c’est ainsi que les derniers musulmans exilés de Grenade se retournaient pour contempler la riante vega, de ce point qui s’appelle encore aujourd’hui le Soupir du Maure.

Les bas-reliefs narratifs de la colonne Trajane nous donnent le spectacle d’une expédition romaine, et nous font faire pour ainsi dire cette campagne avec Trajan. Nous voyons comment on jetait sur un fleuve un pont de bateaux liés deux à deux, comment on palissadait le camp avec des planches taillées en pointe, comment on s’avançait à l’assaut en faisant la tortue, c’est-à-dire chaque soldat se couvrant de son bouclier, de manière que tous les boucliers rapprochés formassent un toit qui protégeait les assaillans contre les projectiles de l’ennemi ; on pousse contre une muraille un bélier qui a vraiment une tête de bélier ; des balistes placées sur des chars lancent des traits ; c’est une véritable artillerie, et même une artillerie à cheval. Les anciens lançaient aussi des globes de feu dont la nature n’est pas très bien connue, et des balles de plomb au moyen des frondes. Les frondeurs étaient de vrais tirailleurs[1]. On exagère donc un peu, sans parler des flèches et des javelots, quand on dit que dans l’antiquité on se battait toujours corps à corps ; ce qui est vrai, c’est que l’arme blanche était l’arme importante et décisive, et que le reste était accessoire. Enfin les sculptures de la colonne Trajane sont elles-mêmes une expression puissante de l’énergie guerrière ranimée dans l’empire par l’exemple d’un prince vraiment guerrier. Ce n’est point

  1. Dans les sièges représentés sur les bas-reliefs de Ninive, des balles sont lancées avec une espèce de cuiller : celles-là ne devaient pas être bien redoutables ; mais les balles recevaient de la fronde une grande vitesse et par suite une grande force, puisque les poètes pouvaient oser dire qu’elles se fondaient en traversant les airs.