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Cette expédition était très importante ; Sous Domitien, les populations du Danube, gouvernées par Décebale, avaient méprisé les aigles romaines. Elles apprirent sous Trajan à les respecter de nouveau, et une porte fut fermée pour longtemps à l’invasion. Le Danube fut romain. Il se forma là une population qui s’appelle encore roumaine et parle, aux extrémités de l’Europe, une langue née du latin, comme l’italien, le français, le provençal, l’espagnol, à tel point que, dans un livre sur les Origines de la Langue française, j’ai dû m’occuper d’un idiome usité en Valachie. Le souvenir de Trajan est resté populaire dans ces contrées, et il y est devenu presque mythologique. Le tonnerre s’appelle la voix de Trajan, et la voie lactée le chemin de Trajan. C’est la légende de la conquête et de l’apothéose.

Vingt-quatre tableaux sculptés forment comme une épopée historique en vingt-quatre chants. Ils racontent ou plutôt font voir d’abord le passage d’un fleuve ; puis les Romains abattent les arbres d’une forêt pour les besoins de l’armée et pour prévenir les embûches de l’ennemi. Vient ensuite une ambassade des Daces : les ambassadeurs portent la toge, car déjà les mœurs romaines avaient pénétré chez ces peuples par cette infiltration rapide dont on voit tant de preuves dans l’histoire, depuis Marbode, qui voulait introduire chez ses Germains la discipline des conquérans et un simulacre de l’empire, jusqu’au Goth Théodoric, qui devait se faire le continuateur et le restaurateur de la civilisation et de la culture latines ; mais les propositions des Barbares n’ont pas été acceptées, car ils égorgent leur bétail et combattent. Trajan, après une première victoire, fait respecter les femmes et les enfans. Les Daces, que leur revers n’a point intimidés, osent attaquer les Romains dans leur camp fortifié. Deux espions viennent raconter ce qu’ils ont vu. On passe un second fleuve. Un soldat romain amène un paysan, les mains liées derrière le dos, pour avoir des renseignemens sur les forces ennemies ou pour le faire servir lui-même d’espion. Une grande bataille est livrée. Nouveau passage de fleuve, nouvelle ambassade. Deux têtes sont portées sur des piques, des têtes d’espions ou de traîtres. Peut-être est-ce une allusion à ce Dace qui fut envoyé pour assassiner Trajan, et dont il n’est fait mention que dans l’abréviateur Zonaras. Les soldats romains, irrités, brûlent les maisons des Daces. Ils font le camp ; ils en sont sortis, et on les voit attaquer l’ennemi dans ses retranchemens. On reconnaît parmi eux des alliés barbares à leurs pantalons pareils à ceux que portent les statues de Daces prisonniers dont je parlerai bientôt. Cette fois les Romains ont rencontré une ville à laquelle ils donnent l’assaut, et dont la résistance est représentée avec une grande énergie. Un roi dace a été pris, il est aux pieds de Trajan ; mais ses sujets ne se rendent pas pour cela, et ils brûlent leur ville. Quelques-uns semblent prendre du poison. Le blé