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qui annonçaient, par la forme et la tournure, un locataire vulgaire ; — Qu’est-ce que ces bottes ? demandai-je à Gritti.— Pour toute réponse, elle rit aux éclats et se moqua de mon émotion. D’un coup d’œil, elle comprit que je voulais avoir raison de ses rires, et poussa la table de telle sorte qu’elle établit entre nous une sorte de barricade. La coquette petite marchande de salade voulait engager une lutte ; mais au même moment un violent coup frappé à la porte, le nom de Gritti prononcé par une voix mâle tout à fait allemande, la firent changer de physionomie. À son tour, sa figure exprima une telle terreur, que je pus à peine comprendre son geste, qui me désignait la fenêtre ouverte. Je fis le geste de sauter par la fenêtre, et Gritti secoua la tête affirmativement. Aujourd’hui je peux à peine résumer les mille sensations qui s’emparèrent de moi en moins d’une seconde. J’allai jeter un coup d’œil à cette fenêtre, qui ne me représentait comme issue la plus désirable qu’une jambe ou un bras cassé. Heureusement il se trouvait une échelle. Je descendis le cœur palpitant, et je ne fus pas médiocrement surpris de trouver au bas, arrivée avant moi, ma casquette, que Gritti avait jetée pendant ma descente.

J’étais dans un jardin potager, d’où je ne cherchais qu’à fuir, lorsque j’aperçus Ghristen, étendu sur le gazon, près d’un petit jet d’eau. Au bouleversement de ma physionomie, il comprit qu’un événement étrange s’était passé. — Eh bien ? dit-il.

— Ah ! Christen, quelle aventure ! — Et je lui racontai en peu de mots la découverte de la paire de bottes et la malencontreuse visite de l’étranger qui appelait Gritti d’une voix familièrement brusque.

— Il faut en avoir le cœur net, dit Christen en se dirigeant vers l’escalier de pierre qui conduisait à l’intérieur de la maison.

— Non, je ne veux pas compromettre Gritti… Partons d’ici sans nous faire remarquer.

— Aurais-tu peur ?

— Non, et la preuve, c’est que je resterai ici si tu le désires ; je n’ai pas quitté de l’œil la fenêtre par laquelle je suis descendu ; personne n’y a regardé.

— Voici Gritti elle-même, dit Christen.

En effet la petite fleuriste descendait l’escalier avec une certaine émotion qui empourprait ses joues. Christen lui demanda ce qui était arrivé, et elle répondit tout simplement : Rien. Sans doute elle ne voulait pas donner d’explications. Pour moi, j’étais redevenu timide et je suivais du regard chaque mouvement de Gritti, qui pour échapper à notre attention cueillait des fleurs. Quand elle en eut ramassé un petit bouquet, elle me le présenta d’une manière si simple, il y avait dans ses yeux un sentiment si singulier de regrets et elle nous