je l’emploie à traduire mon amoureuse conversation. Quand je repars chez la Gritti, la chambre n’avait pas changé d’aspect : beaucoup de feuillage sur le plancher, et les demoiselles s’occupant à marier des feuilles avec des dessins en corne. — Chère Gritti, je vous présente mon ami Christen, qui veut bien prendre part à notre collation. — Je m’étais décidé à parler en français, comme si la petite marchande me comprenait, car j’avais senti que les paroles prononcées aident beaucoup à l’accentuation et à la précision des gestes. Je ne sais si les grands acteurs de ballet emploient ce moyen, mais la parole donne une vive impulsion au geste, et il ne suffit pas de penser fortement les sentimens qu’on veut exprimer par l’attitude du corps, il faut encore que l’acte plus mécanique de la parole vienne se joindre aux mobiles intérieurs qui dirigent nos mouvemens. Christen avait déposé sans façon les bouteilles et les gâteaux sur la table, croyant sérieusement que cette collation était annoncée. Gritti ne parut pas se formaliser de cette liberté ; si elle se fût avisée de se plaindre, et que Christen eût prêté l’oreille à ses discours, j’étais décidé à accuser Gritti de coquetterie ou de mensonge pour me tirer d’affaire. Il me parut même que la petite marchande de salade ne semblait pas indifférente à ce procédé ; mais Christen fit la grimace en apercevant les compagnes de Gritti.
— Je ne suis pas absolument satisfait de boire aux beaux yeux de ces demoiselles, dit-il.
— Elles sont charmantes !
Christen poussa un soupir.
— L’amitié est exposée à de rudes épreuves ! — Puis il ajouta : — Bah ! buvons !
Sur un mot de Gritti, les demoiselles sortirent, apportèrent des verres et disparurent. J’étais assis sur une chaise devant une table assez large qui me séparait de Gritti. Aussitôt ses compagnes sorties, la petite marchande jette à terre tout le feuillage qui encombrait la table ; elle range tout ce qui l’entourait.
— Va t’asseoir auprès d’elle sur le canapé, dit Christen.
— Comment ! encore un canapé ici ? m’écriai-je.
Dans aucune partie de l’Europe, je n’ai vu autant de canapés qu’à Berne : il n’y a pas de chambre qui n’en contienne deux ou trois. La plupart des voyageurs se sont étonnés de l’importance des ours de Berne et de la vénération dont l’opinion publique les entourait sous toutes les formes : bronze, pierre, marbre, bois ou pain d’épices. En effet, extérieurement, Berne appelle la curiosité par ses ours vivans et par ses ours sculptés sur les places publiques et sur les fontaines, sur les horloges et sur les cannes ; mais intérieurement le canapé est aussi vénéré que l’ours. Je m’étonne même que l’ours