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aussitôt, tenant sous le bras la jolie fille émue, les joues en feu, et sur les lèvres son aimable sourire.

— Mademoiselle, soyez la bienvenue, dis-je en lui prenant la main et en la faisant asseoir près de moi. Voulez-vous boire avec nous ?

Wollen sie nicht auch ein Schluck mit trinken ? dit Christen, traduisant ma question.

Elle fit un signe de tête affirmatif, et nous voilà à vingt pieds sous terre à choquer joyeusement nos verres pleins d’un petit vin couleur de légèreté.

En face, à côté et derrière nous étaient des paysans qui nous regardèrent une seconde et qui rentrèrent aussitôt dans leur boisson placide ; seulement l’un d’eux dit à la petite marchande qui avait déposé son bouquet sur la table : — Was hast du da für ein hübsches Meie ausgelest ?

I ha’s nit ausgelest, i ha’s überko, répondit la jeune fille, ce que Christen m’assura vouloir dire : — Tu as fait là un beau bouquet ? — Je ne l’ai pas fait, je l’ai reçu.

L’entretien en resta là, et j’en (us charmé, car je craignais que la fréquentation de cette cave par un Français et une Bernoise n’entraînât les paysans à des commentaires sans nombre. La petite marchande était habillée à la mode populaire bernoise, c’est-à-dire qu’elle avait la taille emprisonnée dans un corsage noir échancré tout à coup au-dessous de la gorge pour être suivi de cette étoffe bouffante et empesée qui trompe souvent sur les poitrines des Suissesses ; sa jupe blanche rayée de noir était plutôt courte que longue : pour ses cheveux, elle les portait à sa fantaisie et devait passer peu de temps à enrouler une grosse natte autour de sa tête. Au comble de mes désirs, je commençais à n’être plus satisfait ; les quelques phrases prononcées en allemand depuis son arrivée me rendaient aussi ridicule qu’un éléphant flairant un harmonica. Toute mon éloquence se figeait devant cette damnée langue allemande. — Je voudrais bien lui dire quelques mots aimables, dis-je à Christen.

— Je m’en vais la prévenir que tu désires lui parler. Mein Camarad sagt er mœchte wohl

— Ne l’écoutez pas, mademoiselle, dis-je en l’interrompant ; tu es insupportable, Christen.

— Parle-lui alors !

Ayant regardé dans le fond de la cave, où des paysans étaient attablés avec des Bernoises peu farouches, je remarquai que l’un d’eux avait le bras passé autour de la taille de sa voisine, ce qui ne semblait nullement choquer l’assemblée ; je l’imitai, et la petite marchande de salade ne parut point trop formalisée de cette hardiesse. C’était le moment ou jamais de lui couler de douces et mystérieuses