Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le tout est la façon dont on fait le bouquet. Je jetai un coup d’œil sur les étalages voisins, et n’y trouvai point ce que je cherchais, sauf des paquets de fleurs communes qui semblaient plutôt préparées pour un herboriste que pour un galant. Toujours en quête d’un bouquet, je jetai un regard en arrière, et j’aperçus Christen qui me suivait de l’œil avec les signes de la plus vive curiosité. Je lui fis signe de m’attendre, et tout en fendant la foule des acheteurs, je revins un peu chagrin, désespéré de n’avoir pas trouvé un fleuriste convenable, sauf celui que je jugeai fournisseur en titre des herboristeries de Berne. — Bah ! me dis-je, dans ces sortes de complimens, l’intention est tout. — Et j’achetai un batz un pauvre petit bouquet humide que je sauvai peut-être des tortures de l’infusion, M’étant approché de la jolie marchande de salade, le cœur palpitant, un nuage devant mes lunettes et la voix troublée : — Mademoiselle, vous êtes charmante ; permettez-moi de vous offrir ces fleurs. — Elle rougit considérablement, sourit, répondit par un mot allemand que je ne compris pas ; mais à la façon dont elle reçut le bouquet, je compris qu’elle n’était pas fâchée, Cependant je me sauvai immédiatement, ayant remarqué la curiosité des marchandes voisines, peu habituées à ce manège amoureux en plein marché.

— Que faisais-tu avec ton paquet de bourrache, Josquin ? me demanda Christen.

— De la bourrache ! m’écriai-je.

— A peu près.

— Qu’importe ? elle a été bien reçue.

— Je crois qu’on te regarde, dit Christen.

— Oui ?

— On détache une fleur du bouquet, on la met dans son fichu.

— Vrai ! est-il possible ? m’écriai-je tout ému et tout pâle assurément, car les petites audaces que je commets dans la vie ne durent pas plus de cinq minutes. Passé ce temps, la défaillance arrive. Je pourrais commettre des actions considérables dans les cinq premières minutes ; ensuite je me trouble, je ne saurais les soutenir, et j’ai peur des hardiesses, qui ne sont pas dans ma nature. Aussi n’osais-je même plus regarder la marchande de salade, j’étais tremblant, je trouvais mes fleurs bêtes, je pensais que tout le marché bernois se moquait de moi. Mes oreilles sifflaient, il me semblait entendre un formidable éclat de rire suisse partir de toutes ces bouches : placides ; « Il a donné des fleurs de bourrache ! » criait tout le monde d’un ton goguenard. — Allons-nous-en, dis-je à Christen en le prenant par le bras, et je l’entraînai sous les galeries de pierre sans oser jeter un regard en arrière vers ma petite marchande.

Après une course assez longue : — N’est-ce pas qu’elle est jolie ?