Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

visière insolente qui suit la forme du front et se rabat brutalement sur le sourcil. À cette casquette j’avais joint une paire de besicles, que la république suisse n’a point encore interdites aux étudians, ainsi que le fit jadis le roi de Bavière pour son université. Mes cheveux étaient suffisamment longs et plats, ma redingote boutonnée jusqu’au menton, un beau foulard semé de coquelicots était jeté négligemment autour du cou ; ma canne à la main, je me croyais un parfait étudiant, lorsque le sourire un peu malicieux de la petite marchande de salade vint me troubler. Je m’éloignai sans rien dire, portai la main à la casquette blanche à galon rouge, et la trouvai toujours dans la position de singe malicieux que le chapelier m’avait vantée comme le suprême bon goût.

Au bout de quelques pas, je rebroussai chemin, ayant au bras mon excellent ami Christen, qui me faisait les honneurs de la ville. La petite marchande de salade me préoccupait ; dans ses yeux noirs, dans sa coquetterie, j’avais retrouvé Paris, et je voulais avoir raison de son sourire. Y avait-il une sorte de provocation ? Me prenait-elle réellement pour un de ces jeunes gymnasticiens qui passent leur vie à courir la ville et les amours faciles ? Quel est le singulier ressort qui avertit une femme que l’homme qui pense à elle va venir tout à coup ? C’est encore là un des mystères inexplicables de l’amour, même de la simple galanterie. J’étais à cent pas de la petite marchande de légumes, sous les arcades du côté opposé des maisons, lorsqu’elle leva subitement la tête et sourit encore une fois à la parisienne. Mon cœur eut une légère palpitation. Je me sens rarement provoqué par une jolie personne sans éprouver une sorte de trouble ; mais, voulant être bien certain qu’il n’y avait ni hasard ni moquerie, je passai et repassai près de cinq fois devant l’étalage, au grand étonnement de mon ami, que ces allées et retours inquiétaient fortement. Au début d’une aventure, j’ai pour système de ne jamais me confier à celui qui m’accompagne, de peur de chagriner son amour-propre. Si une femme envoie un coup d’œil furtif dans la direction de deux amis, et que l’un, s’en apercevant, se confie à l’autre, il peut arriver que l’autre se gendarme, prétende que ce regard lui est adressé ; ce sont matières à brouille. Je recueillis ainsi dans cette promenade divers sourires auxquels je répondis de mon mieux, jusqu’à ce que, quittant tout à coup le bras de Christen : — Attendez-moi, lui dis-je.

Et je m’élançai à travers les étalages, cherchant une marchande de fleurs. Il est singulier que je ne pense aux fleurs que quand je suis à peu près amoureux ; alors je deviens frénétique de bouquets. Aussi le lecteur est bien averti qu’il y aura toujours quelques bouquets dans ces sortes de mémoires : je ne crains pas de me répéter,