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les chefs-d’œuvre sortis de la main des hommes pour une enfant timide : cette babiole d’aventure avec une femme laissait plus de traces dans l’esprit du Hollandais que s’il avait regardé sérieusement les portraits d’Holbein. Il faut être bien jeune pour s’intéresser aux questions de peinture, aux questions archéologiques, dont le premier sot peut vous contester la certitude. La femme est autrement difficile à déchiffrer que la langue assyrienne, et on n’a pas trop de quarante ans pour l’étudier et arriver à l’épeler.

La petite blonde, que je supposais maîtresse de pension, dormait toujours, et je ne trouvai qu’un moyen de l’éveiller : ce fut de relever le rideau de serge qui nous garantissait de la poussière, et qui laissa entrer par la portière un soleil ardent qui commença par se jeter, comme un amant empressé, sur les joues de la dormeuse. Elle se réveilla sous ces chauds baisers ; alors je pus lui remettre son Histoire romaine, en lui faisant remarquer que je l’avais ramassée. La conversation s’ouvrit là-dessus. C’était une jeune demoiselle de Vevay qui revenait en vacances, et qui devait aller plus tard à Berne. — J’y demeure, lui dis-je. — Ah ! vraiment ? s’écria-t-elle, et elle me raconta qu’elle allait souvent le soir se promener à un certain endroit, près de l’Aar. Un fat eût pris cette parole pour une sorte de rendez-vous ; mais la jeune fille causait innocemment et pour le plaisir de causer. Elle était questionneuse autant que deux Françaises, et elle voulait savoir d’où je venais ; quand elle apprit que j’étais allé à Fribourg pour entendre les orgues, elle manifesta un profond étonnement. — Comment ! dit-elle, vous demeurez à Berne, et vous allez à Fribourg pour entendre les orgues ? On ne vous a donc pas dit que les orgues de Berne sont bien supérieures ?

C’était un coup de massue. Avoir fait vingt-quatre lieues inutilement quand la merveille était sous ma main ! Heureusement j’avais entamé la connaissance d’une aimable personne, mais il n’y avait pas cinq minutes qu’elle m’avait fait cette réponse, lorsque la voiture s’arrêta à un relais, dans un village, et qu’un gros paysan se présenta pour recevoir ma jolie compagne, qui s’arrêtait dans cet endroit.

Le reste de la route me parut bien long.


II. – GRITTI.

De retour à Berne et me promenant dans la Grande-Rue le jour de marché, je fus frappé de la physionomie singulière des paysans, des marchands, et de la foule considérable qui se pressait, plus nombreuse que de coutume, à cause de la foire aux domestiques. Tout ce peuple blond, qui a l’air indolent, maladroit au premier abord, et