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à faire valoir les différens jeux de l’instrument, et que depuis le premier orage, qui fut exécuté en dix-sept cent et tant, on a désespéré d’en inventer un plus terrifiant. — Faites bien attention, me dit mon hôte en me faisant des recommandations, l’orage est le dernier morceau. — Au fond, je n’étais pas fâché d’être délivré de mon hôte, qui, s’il eût été présent, était un de ces hommes qui vous poussent le coude à chaque instant pour vous faire partager leurs admirations : Eh bien ? ou comment trouvez-vous cela ? ou superbe ! n’est-ce pas ? L’admiration est une fleur discrète qui s’épanouit au dedans de l’homme, pour ensuite attacher un petit sourire particulier sur les lèvres ; du moins je ressens ainsi les beautés musicales, et pourvu que mon voisin ne m’interroge pas, je le laisse volontiers manifester de bruyans bravos ou d’énormes claquemens de mains d’une sincérité douteuse.

Quand j’entrai dans l’église de Fribourg, l’organiste commençait son morceau par un début sans importance, en se servant des jeux les moins puissans, afin de conserver tout son éclat polir le finale. Les orgues de Saint-Denis m’ont habitué à de plus brillans effets ; aussi mon attention vague fut-elle attirée par de petits tableaux singuliers que je voyais accrochés aux murs. C’étaient des gens malades dans leur lit, des moribonds, des animaux blessés que le pinceau a reproduits, en n’oubliant pas de faire intervenir dans un coin du tableau une sainte Vierge qui, du haut de son trône de nuages, envoie un regard favorable vers ceux qui l’implorent. Généralement on lit au bas de ces singulières peintures : Ex voto. Cette coutume existe dans toute la France sous différentes formes, soit qu’on fasse dire des messes à l’intention d’un malade, soit qu’on fasse brûler des cierges, soit que les marins accomplissent un vœu en suspendant à la voûte de la chapelle le modèle d’un petit navire, soit qu’on fasse toucher à des reliques des objets ayant appartenu à des malades ; mais à Fribourg les paysans des environs croient à l’influence d’une représentation exacte de leur invocation à la Vierge. Si un de leurs parens tombe malade, ils veulent que le peintre représente l’appartement où le malade est couché ; si un cheval est atteint d’une maladie épidémique, il faut l’image exacte du cheval. L’ex-voto qui me frappa le plus fut celui d’une femme étendue par terre sur le dos, les mains jointes en l’air ; près d’elle était une charrette jaune-serin traînée par des bœufs peints en rouge-vermillon, qui se détachaient sur un fond vert-pomme. La Vierge lançait un regard sur cette femme, évidemment blessée en tombant de sa charrette.

Ces dessins étaient coloriés avec une telle grossièreté d’exécution, qu’elle leur prêtait une puissance à laquelle atteignent rarement les chefs-d’œuvre. La naïveté ne se conserve dans toute sa pureté