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si leurs caprices, leurs manies, leur admiration font tort à quelqu’un, j’ouvris dans la conversation un horizon borné par les fameuses orgues.

Heureusement pour moi je touchais une corde patriotique, suisse par excellence et cantonale au plus haut degré. Mon hôte fut touché du récit d’un homme qui se détournait de douze lieues avec une forte provision d’admiration pour une merveille locale. Il me raconta monts et merveilles de l’instrument et de l’instrumentiste, qui imitait une tempête de la nature comme jamais organiste n’y avait réussi. L’orage, le tonnerre, les éclairs avaient été étudiés avec un soin tout particulier par le musicien, et il rendait ces tourmentes avec une telle vérité, qu’il vous donnait le frisson. Quoique ne croyant pas un mot de certaine histoire qui court les biographies : — Il est un peu comme Joseph Vernet, dis-je, qui se faisait attacher au grand mât d’un navire pendant une tempête pour en mieux saisir les effets. — Et je riais en dedans du curieux spectacle que présenterait un organiste attaché à un clocher ; mais il faut toujours flatter les enthousiasmes cantonaux. D’ailleurs le Fribourgeois y mit une complaisance à toute épreuve ; il ne se fit pas prier pour sortir par cette chaleur caniculaire, et vraiment il n’eût pas plus souffert dans une poêle à frire. En chemin, il s’arrêta pour me faire entrer dans un hôtel d’apparence somptueuse où ne peuvent raisonnablement descendre que des agens de change en faillite. Au premier étage de cet hôtel est une terrasse qui donne sur les montagnes environnant Fribourg ; des gorges profondes, des ponts hardiment suspendus, une verdure un peu crue, telle est la nature du lieu, mais là ne gît point l’intérêt. Pour flatter les voyageurs et piquer la curiosité blasée des Anglais, l’aubergiste du lieu a imaginé d’embellir la nature. Les fenêtres sont composées de carreaux de diverses couleurs qui permettent de saisir le point de vue sous des aspects d’une coloration varié. On peut regarder ce site sauvage d’une façon jaune, ou rouge, ou violette, ou indigo, ou verte, ou blanche, ou noire ; il y a même des couleurs composées qui laissent voir le précipice couleur de chair. À Passy, à Neuilly, à Aulnay, partout aux environs de Paris vous rencontrez de petits pavillons bourgeois, soit avec des couvertures de chaume, soit avec une décoration orientale, dont les fenêtres laissent entrer le jour sous des colorations aussi variées. Ainsi nous n’avons rien à envier aux Suisses ; la seule différence est que nos petits propriétaires ne regardent que des jets d’eau, de misérables parterres de fleurs, des imitations de grottes en roches à travers leurs verres de couleur, tandis que l’aubergiste fribourgeois vous invite à regarder de la sorte une situation pittoresque.

Il y avait devant ces carreaux toute une famille française, père,