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LES SENSATIONS


DE JOSQUIN





I. – LES ORGUES DE FRIBOURG.

J’étais à Berne ; on prononça devant moi le nom de Fribourg : aussitôt un souvenir de jeunesse me monta au cerveau, comme une de ces odeurs pénétrantes qu’on a respirées dans un temps éloigné, qui se représentent tout d’un coup, et qui feraient croire que l’odorat a de là mémoire. Je me souvins des orgues de Fribourg, — ainsi qu’on se souvient de ces livres merveilleux, le Robinson Crusoé par exemple, — qui dans mon esprit étaient notées à l’égal des grandes merveilles de l’univers. Dans quel livre de voyageur enthousiaste ai-je puisé cette admiration pour les orgues de Fribourg ? Il m’était impossible de donner une forme exacte à mes souvenirs ; le nom, si joli par lui-même, de Fribourg ne chatouillait-il pas ma curiosité ?

J’irai demain à Fribourg : il y a une douzaine de lieues ; mais qu’importe, si je dois entendre un instrument incomparable, tel que n’en possède pas le monde entier ? La diligence qui fait le service de Berne à Fribourg est autrement disposée que nos diligences françaises du côté de l’impériale où se logent habituellement ceux qui sont curieux de respirer et de voir la belle nature. Il y a deux impériales, une sur le devant, une sur le derrière ; au milieu sont placés les paquets, malles et bagages des voyageurs. Je ne recommanderai pas à mon plus méchant ennemi de prendre l’impériale de derrière, où je fus invité à monter. Ne pouvant me faire entendre