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que trompé sa raison. Au lieu de se fier aux applaudissemens et de se croire arrivé alors qu’il n’était qu’en marche, il a exigé d’autant plus de lui-même que l’opinion le traitait avec plus de faveur ; au lieu de spéculer sur la réputation acquise, il s’est comporté toujours comme s’il avait à se faire un nom. Modestie ou courage, une pareille façon d’agir n’est guère dans les mœurs actuelles, et ce n’est pas en général à ce zèle du progrès que l’école a coutume de limiter son ambition. Puisse la leçon n’être pas perdue pour elle, et l’exemple de M. Delaroche la détourner des jactances de pinceau et des appétits vulgaires ! Quant aux peintres formés sous les regards mêmes du maître, si aucun d’eux jusqu’à présent ne semble en mesure de le remplacer, si nul n’a hérité de lui le renom et l’autorité nécessaires, il leur appartient du moins à tous de continuer ces traditions de sincérité dans le travail, de recherche studieuse auxquelles ils ont été directement initiés. M. Delaroche d’ailleurs pouvait-il leur léguer rien de plus ? A-t-il créé, à proprement parler, une école, c’est-à-dire un ensemble de talens procédant exclusivement de lui et reliés par la communauté des doctrines ? Citer les noms de ses élèves les plus distingués, ce sera répondre à cette question. M. Hébert et M. Gendron, M. Cavelier le sculpteur et M. Gérome, MM. Antigna, Roux, Hamon, Jalabert, Haussoullier, Landelle, d’autres encore, — sans parler de M. Couture, qui, moins que pas un assurément, trahit son origine, — montrent assez la diversité des talens issus de l’atelier de M. Delaroche. Le seul trait de ressemblance qu’offrent la plupart d’entre eux, c’est une expression de goût ingénieux et de tendances presque littéraires. En dehors de ces inclinations, où survit quelque chose de son propre sentiment, M. Delaroche ne leur a pas transmis sa manière, parce que cette manière était au fond toute personnelle. Elle participait des progrès successifs de l’intelligence, des conquêtes journalières, autant pour le moins que d’un système d’exécution une fois adopté. Le moyen de prescrire avec une entière certitude ce que l’on est soi-même en train de découvrir ou d’expérimenter ? On conçoit qu’Un artiste pour qui il n’existe qu’une sorte de beau, un maître convaincu de bonne heure comme M. Ingres, n’hésite pas dans ses enseignemens et impose à ses élèves telle méthode fixe, tel mode d’expression uniforme. M. Delaroche, dont la vie tout entière a été consacrée aux comparaisons et à l’étude, dont tous les efforts ont tendu à maintenir dans un sage équilibre les divers moyens de l’art et ses propres facultés, M. Delaroche était lui-même trop ambitieux de progrès pour se fier pleinement à son expérience et dicter, à titre de règles invariables, des principes qu’il travaillait sans cesse à améliorer.

Le peintre du Duc de Guise, de l’Hémicycle, de la Jeune Martyre et des Girondins reste donc jusqu’à un certain point isolé des artistes