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compagnie pire pour un jeune esprit qu’une solitude absolue ; sa nature élastique et ardente la préserve et lui permet de résister à cette pression. « Je résistais, dit-elle, grâce à mes relations avec l’invisible ; je tirais de la nature ma nourriture élémentaire et la chaleur nécessaire, semblable à la terre enveloppée dans la froide nuit qui sent encore les feux du soleil, ou à l’enfant qui dans les ténèbres trouve avec certitude le sein où il s’allaite. »

Heureusement cette solitude est animée de temps à autre par un jeune cousin d’Aurora, Romney Leigh, dont l’affection et la tendresse grandissent d’année en année, Aurora et Romney sont parens non-seulement par les liens du sang, mais par les liens de l’âme ; tous deux ont l’esprit élevé et ardent, et tous deux se sont tracé un but digne d’être poursuivi. Cependant la différence du but à atteindre met entre eux une distance qui sera difficilement franchie. Aurora dépeint en deux traits et la nature de son cousin et la nature du but qu’il poursuit : « Nous étions trop rapprochés, nous voyions trop intimement les différences qui nous séparaient. Romney Leigh portait toujours ses yeux en bas pour y chercher les vers de terre ; moi je regardais en haut pour découvrir les dieux ! Sa nature à lui était celle d’un dieu cependant ; les dieux regardent toujours en bas, peu curieux d’eux-mêmes. Et certainement il est bien que je me rappelle aujourd’hui que dans ces jours lointains moi aussi j’étais un ver de terre, et qu’il daigna jeter les yeux sur moi. » Aurora est éprise d’un idéal abstrait ; le spectacle des navrantes réalités de ce monde remplit d’angoisses l’âme de Romney. Un audacieux et chaste evohé est près de s’échapper à chaque instant des lèvres éloquentes d’Aurora ; Romney n’entend que pleurs et grincemens de dents. Il ne veut pas écouter d’autres, voix que celles qui lui parlent des douleurs de ses semblables, il ne veut pas que son cœur palpite sous d’autres sentimens que ceux de la pitié et de la charité. Sa poésie à lui ne sera pas dans les livres, elle sera toute dans la vie et dans l’action, dans les protestations d’un cœur mâle contre les tyrannies sociales, dans les paroles de consolation adressées aux misérables. Quoiqu’il ait les yeux tournés constamment du côté des vers de terre, comme dit Aurora, Romney n’est pas le moins idéaliste des deux ; il rêve même bien mieux qu’Aurora en un sens la gloire de l’artiste, s’il est vrai que cette gloire consiste à mettre en harmonie ce qui est discordant. Frappé des discordances de notre état social moderne, Romney nourrit l’ambition de travailler à y ramener l’harmonie et il exprime ses impressions en termes plus poétiques dans leur amertume que tous les poèmes qu’a rêvés Aurora.


« Oh ! choisissez une plus noble tâche que celle-là, vous belle Aurora aux yeux humides, au sein palpitant, aux lèvres frémissantes ! Nous sommes