Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui aucune crainte. Tel est le bien que font les mères. Les pères aiment aussi bien ; le mien m’aimait autant, je le sais ; mais ils aiment avec plus de pesanteur d’esprit, avec des âmes, qui ont plus de conscience de leur responsabilité, et ainsi, aimant moins follement, ils aiment aussi moins sagement. »


La jeunesse d’Aurora, prématurément assombrie par l’absence de ces petits soins qu’elle décrit si délicatement, fut bientôt attristée encore par la mort de son père, austère Anglais dont l’amour, dit sa fille, avait transformé la nature commune sans compléter entièrement la métamorphose commencée, et qui, avant de mourir cependant, apprit à la jeune Aurora ce qu’il connaissait le mieux, l’amour et le chagrin. » Il fallut quitter la radieuse Italie avec ses bleues collines et ses belles églises pour une nouvelle patrie, l’Angleterre. Tristes apparurent à la vue de l’enfant les falaises glacées. « Pourrait-elle jamais trouver un foyer parmi ces vilaines petites maisons rouges qu’on apercevait dans le brouillard ? les cieux eux-mêmes semblaient bas et positifs, comme si l’on avait pu les toucher avec la main, et on avait presque envie de le faire, tellement ils ressemblaient peu au cristal céleste du palais de Dieu. » L’enfant arrivé à la résidence de la famille paternelle, et la sœur de son père lui souhaite la bienvenue. Triste compagnie pour un enfant, que celle de cette tante, véritable vieille fille anglaise : front étroit qu’on aurait dit rétréci volontairement pour réprimer les caprices de pensées accidentelles et malséantes ; nez sec et fin ; bouche douce, amère aux extrémités, et parlant d’amour resté sans récompense ; yeux sans couleur qui autrefois avaient pu sourire, mais qui jamais, jamais ne s’étaient oubliés dans ce sourire ; joués conservant encore une rose des étés expirés ! Toute sa vie s’était usée ennuyeusement dans d’ennuyeuses occupations et d’inutiles vertus, et semblable à un oiseau en cage, né en cage, et qui s’imaginerait que sauter de perchoir en perchoir est pour tous les autres oiseaux le dernier terme du bonheur, elle ne soupçonnait pas que l’existence pût être taillée sur un autre modèle que celui de la décence sociale. C’est sous la tutelle de cette tante qu’est tombée la vive et passionnée Aurora ; déjà triste, sa vie s’attriste encore de cette compagnie morose, de l’éducation modèle qu’il lui faut subir, de la tisane morale que lui présentent incessamment dans un vase anglican les doigts glacés de sa tante. C’est une personne toute de convention, cette excellente dame ; son affection est conventionnelle ; elle aime jusqu’à tel degré, et pas au-delà ; sa haine est conventionnelle ; elle hait jusqu’à tel degré, et alors elle s’arrête, de crainte de manquer à son devoir envers le prochain et d’outrepasser ce que, sans interprétation casuistique, lui permettent son prayer book et ses livres de morale religieuse. Aurora subit sans trop de dangers cette éducation et cette