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œuvres, louant notre vif sentiment de l’amour et l’abondante passion de notre cœur féminin, de notre cœur, qui ne pourrait pas battre dans nos vers comme il le fait s’il n’était pas aussi présent sur nos lèvres veuves de baisers et présent dans nos yeux mouillés de pleurs inessuyés, parce qu’il n’y a auprès de nous personne pour demander pourquoi ils sont humides… Rester assise seule, et penser pour unique consolation que ce même soir des amans fiancés, se penchant l’un vers l’autre, écoutant doucement à demi distraits, à demi attentifs, les battemens de leur cœur et le bruit de leur haleine, liront avec bonheur quelqu’une de vos pages, et s’arrêteront avec un frémissement, comme si leurs joues s’étaient touchées lorsque telle ou telle stance, répondant à l’état de leur âme, leur semblera rendre leur amoureuse préoccupation, et leur fera dire : « C’est là ce que je sens pour toi… — Et moi pour toi… — Comme ce poète connaît bien ce qu’est l’amour infini ! »


L’accent délicieusement féminin de ce passage vibre dans la plus grande partie des pages du poème ; mais ce n’est pas seulement par la passion et la force du sentiment que le sexe de l’auteur se révèle : on le découvre à mille ingénieux tours de pensées, à l’exquise finesse de certains détails, à la délicatesse des aperçus, à ces tendresses de langage avec lesquelles l’auteur parle de ses pensées, à ces caresses, à ces sourires avec lesquels elle accueille ses propres sentimens, à tous ces gracieux riens si pleins de sens, comme le dit l’auteur lui-même, avec lesquels les mères consolent ou charment leurs enfans. Le passage où l’auteur parle de l’influence heureuse des mères sur le caractère des enfans exprime bien cette poésie insaisissable du tact et de la grâce qui n’appartient qu’aux femmes. La mère d’Aurora était une Italienne qui mourut jeune, et dont les caresses manquèrent à sa fille. Aurora en convenait elle-même : « Si elle avait vécu, disait-elle, ses baisers auraient apaisé de bonne heure les inquiétudes de mon cœur. »


« Mon cœur sentait profondément l’absence d’une mère, et j’allais dans le monde comme un agneau bêlant, oublié à la nuit, lorsque les portes de la bergerie se sont refermées sur le troupeau, aussi inquiète qu’un oiseau dont le nid a été abandonné, et qui grelotte à cause de quelque chose qu’il ignore, mais qui lui manque. Moi, Aurora Leigh, j’étais née pour rendre mon père plus triste et pour m’attrister moi-même. Les femmes seules connaissent la manière d’élever des enfans, elles ont une manière simple, tendre, heureuse d’attacher une ceinture, d’arranger de petits souliers, d’enchaîner ensemble de jolis petits mots qui n’offrent aucun sens, et de placer un sens profond dans des mots complètement vides. Toutes ces choses, quoique des bagatelles, sont les hochets de corail avec lesquels l’enfant s’exerce à la vie. Les enfans apprennent ainsi par de jolis petits jeux la sainte passion de l’amour sans devenir prématurément mornes et solennels, et, s’habituant à voir comme dans un buisson de roses cette flamme divine de l’amour brûler sans détruire une seule fleur, ils deviennent familiers avec l’amour, et n’ont de