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pris le parti de les poursuivre, il s’attache obstinément à elles, sourd à toutes les voix qui ne sont pas les leurs. L’homme d’une ferme volonté peut se passer du monde extérieur. C’est là ce qui le rend capable de toutes les mornes victoires de l’intelligence, ce qui le rend métaphysicien, savant, dominateur politique. Il peut vivre solitaire et remplacer l’amour par l’orgueil. Il n’en est pas de même des femmes : la destinée, qui leur a donné pour armes principales la tendresse et la séduction, leur a nécessairement refusé les bénéfices de la solitude et de l’orgueil. Elles semblent ne pouvoir contempler la vérité et la beauté en elles-mêmes et sans le secours d’un intermédiaire. La nature leur refuse de rester sourdes aux voix qui les appellent, et leur ordonne de jeter sur la route à tout ce qui les réclame leur pitié et leur pardon ; elle leur ordonne de rester fidèles à la vie, à la vie partagée avec des êtres vivans, à la vie sentie dans son intégrité et non divisée arbitrairement en vie morale et en vie physique, comme le fait le sexe pédantesque et fort. Tel semble être pour elles le but de l’existence. De là toutes ces facultés qui portent témoignage d’une nature qui ne peut s’abstraire des êtres environnans ; cette prédominance de l’instinct qui entraîne vers un objet défini sur la réflexion qui permet de le dédaigner ou de le rapporter à un tout général ; cette abondance de détails, signe d’une nature facilement séduite et captivée ; ces flots d’impressions, indice certain que la volonté ne domine pas le cœur ; cette mobilité d’esprit et cette inquiète ardeur que l’on peut observer dans tous les écrits remarquables des femmes. Ajoutez-y la curiosité, qui a toujours pour raison d’être véritable l’envie, le désir de vivre. Toutes ces qualités brillent de leur éclat le plus vif dans le poème de mistress Browning, et la conception première en est à chaque instant dérangée. En vain elle s’efforce d’être calme, de marcher droit au but marqué d’avance : son ardeur, noblement contenue, s’échappe comme un parfum subtil, inutilement renfermé dans un vase de cristal, s’exhale malgré la volonté de son jaloux possesseur. Sa curiosité la porte vers tout objet qui passe et lui inspire le désir de savoir son secret ; tout lui est occasion, de se répandre et d’exprimer son amour, sa haine ou son mépris. Les détails surabondent, et l’on marche avec l’auteur au but fixé, non en droite ligne, sur une route noblement sévère, majestueusement bordée de paysages classiques, et partagée en étapes régulières, mais en zigzags, à travers un méandre aimable et compliqué, en écoutant les longues confidences et en partageant les émotions multipliées d’un cœur inépuisable. On a beaucoup discuté de notre temps sur la différence des sexes, sur le rôle véritable de la femme dans le monde ; mais en vérité si quelque chose pouvait trancher cette difficile, question, ce seraient assurément les livres écrits par les femmes. Ils répondent tous et presque tous sur le même