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de tout ce qui peut donner à la vie de la noblesse et de la grâce. Le dernier mendiant du moyen âge, s’il n’avait pas parcouru comme Dante les cercles du monde mystique, ne trouvait cependant rien dans les visions du poète qui fût en contradiction avec ce que son âme avait obscurément rêvé. Ainsi, lorsque le poète ne veut pas se contenter d’exprimer ses pensées personnelles, il faut qu’autour de lui il trouve des formes séduisantes, des personnages auxquels il puisse prêter la noblesse de son langage, des cœurs capables de sa puissance d’affection ; en un mot, il faut qu’il trouve en dehors de lui une image des choses idéales. La poésie impersonnelle suppose donc toujours un milieu où le poète peut aisément se faire l’interprète d’autres sentimens que les siens, et où il trouve en abondance autour de lui des sourires, des regards, des attitudes, des gestes qui lui permettent d’envelopper les plus délicates nuances de sa pensée.

Mais aujourd’hui où trouver la poésie ailleurs que dans son âme et çà et là dans la nature ? Si la poésie voulait s’aviser, comme à d’autres époques, de reproduire nos mœurs et notre manière de vivre, à quels singuliers résultats n’arriverait-elle pas ! Prise en masse, notre époque n’a rien que de très prosaïque ; la vulgarité y abonde, le mesquin y pullule ; ni le bien, ni le mal de nos jours n’offrent de ressources à l’imagination du poète, et ne peuvent se traduire en types capables de rester dans la mémoire des hommes. Que faire, par exemple, des vices de cette population innombrable qui agiote, tripote, se démène et s’agite pour arriver non pas même à la gloire du crime, mais à la plate notoriété du déshonneur ? Pure canaille tout cela, indigne du moindre intérêt ! Que faire des vertus de cette honnête population qui travaille consciencieusement, qui ne fait point le mal volontairement, mais qui le laisse faire, qui ne sait point haïr, mais qui sait détester, qui ne sait pas souffrir, mais qui sait endurer, qui aime par habitude et par raison, à laquelle ni la joie ni la douleur n’arrachent un accent, une vibration, une larme : monde d’honnêtes gens parfaitement recommandables, mais parfaitement indignes de tout autre sentiment que celui d’une banale estime ? Il n’y arien d’ingénieux, rien d’imaginatif, nulle perversité grandiose,.nulle irrésistible chimère chez nos coquins ; il n’y a rien d’héroïque, ni d’idéalement vertueux chez nos honnêtes gens. Vices et vertus ont le même caractère et méritent la même terrible dénomination : insignifiance. Quant à l’aspect général de notre société, il n’est pas non plus bien séduisant. Rien ne lui ressemble plus que l’aspect de nos villes modernes. Imaginez Paris et Londres par une soirée d’hiver ; que voyez-vous ? Une suite indéfinie de rues régulières, sans rien de brusque et d’imprévu, pas d’étoiles au ciel, des lumières blafardes et artificielles à l’ombre desquelles errent les gardiens de