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jadis les têtes des tyrans Maxime et Eugène, ces autres produits de l’impatience gauloise et de la turbulence britannique. L’Italie triompha de la victoire de son prince, qui n’était heureux que dans les guerres civiles, et les historiens répétèrent à qui mieux mieux l’adage inventé contre nos pères : « Gaulois, race inquiète et toujours empressée de se faire ou un prince ou un empire[1], » et cet autre, qui regardait nos voisins d’outre-Manche : « Bretagne féconde en tyrans, ferax tyrannis Britannia. »

Les vengeances ne s’arrêtèrent pas là, malgré l’humanité de Constance, qui s’interposa plus d’une fois entre la Gaule et les rigueurs de la cour de Ravenne. Décimus Rusticus fut traqué longtemps dans les montagnes d’Auvergne, où il s’était réfugié, pris enfin et mis à mort non pas seulement comme meurtrier probable de Didyme et de Vérinien, mais surtout comme chef du parti national gaulois. Quant à Apollinaire, qui ne s’était montré dans cette crise ni exclusif ni passionné, il revint à Lyon quand la tempête fut passée, et y termina paisiblement ses jours.

On peut étouffer une entreprise mal conçue, mais on n’étouffe pas la nécessité qui l’a produite. Rome eut beau rétablir l’unité, l’unité était frappée au cœur. La Gaule ne cessa point de vouloir un empire ou un empereur à elle, légitime ou tyran, et quand les révoltes ne suffisaient pas pour les constituer solidement, elle invoquait l’épée des Barbares. C’est ainsi qu’à l’aide des Visigoths elle imposa à tout l’empire d’Occident Avitus, beau-père de Sidoine Apollinaire et membre de cette noblesse arverne qui, avec l’aristocratie lyonnaise, fit longtemps la loi dans les Gaules. Plus l’Italie s’affaiblissait, plus le mouvement d’indépendance locale ou le désir de domination générale se fortifiait à l’ouest des Alpes. Quant à la ville d’Arles, elle conserva après la chute de Constantin, sous le gouvernement unanime, le rang que les événemens de 407 lui avaient donné. Elle continua d’être le siège de la préfecture des Gaules, diminuée désormais de l’île de Bretagne, et vit s’opérer sous ses yeux le passage du monde ancien au monde moderne ; elle vit Rome, déjà pillée par les Goths et prise par les Vandales, devenir sujette des Ruges, puis le nom même des césars aboli. Elle restait debout cependant, ombre solitaire du passé et métropole sans empire, lorsqu’un Barbare, roi d’Italie, la céda à un autre Barbare, roi de Toulouse.


AMEDEE THIERRY.

  1. « Gens hominum inquietissima, et avida semper vel faciendi principis vel imperii. » Vopisc. in. Saturnin.