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les obstacles ne faisaient qu’irriter la passion. Ses travaux d’approche et de circonvallation, habilement dirigés, avançaient à coup sûr, quoique avec lenteur, et le temps s’écoulait dans ce travail opiniâtre, lorsqu’un ennemi qu’on n’aurait jamais deviné parut à l’improviste dans le voisinage de son camp : c’était une armée romaine commandée par un général romain nommé Constance.


VI

Rien dans les événemens de cette époque ne semble suivre une marche logique : tout y est brusque, inattendu, et l’on dirait que le monde ne marche plus que par soubresauts, comme va le pouls d’un mourant. L’Italie, tout à l’heure si bas, est maintenant pacifiée. Grâce à l’amour qu’une fille de Théodose, sœur utérine d’Honorius, Galla Placidia, prise par Alaric au siège de Rome, a su inspirer au roi barbare Ataülfe, les Italiens sont ménagés, les Goths se montrent disposés à la paix, et Honorius respire dans sa prison de Ravenne. Le gouvernement romain profita de ce temps de répit pour envoyer au-delà des Alpes une armée chargée d’observer ce qui se passait en Gaule, et de ramener, s’il était possible, ce malheureux pays sous l’unité italienne. L’expédition se prépara et s’exécuta sans bruit ; Honorius, contre son habitude, en avait confié le soin à un homme capable de la faire réussir, général expérimenté, administrateur conciliant, esprit prudent et mesuré, tel en un mot qu’il le fallait pour une mission qui réclamait plutôt un pacificateur qu’un vengeur.

Descendu des Alpes par la vallée de la Durance, à ce qu’on peut croire, Constance vint camper dans la plaine de Crau, à peu de distance du camp de Gérontius, sans démonstrations hostiles, sans sommations, sans menaces, se contentant d’examiner et d’attendre. Gérontius en fit autant. Dans cette attitude d’observation mutuelle, des pourparlers avaient lieu chaque jour aux avant-postes des deux armées. Les soldats se reconnaissaient, s’interrogeaient avec intérêt, avec curiosité, et les légions de Bretagne, d’Espagne et de Gaule ne voyaient pas sans émotion flotter les enseignes de Rome, de cette mère commune des peuples, profanée aujourd’hui par les Barbares, mais que son malheur semblait rendre plus respectable aux yeux de ses fils. Constance, attentif à provoquer ces sentimens, les encourageait par des promesses d’amnistie. Chaque jour, à chaque heure, des bandes de déserteurs s’esquivaient des retranchemens de Gérontius pour se rendre près de Constance, et l’armée bretonne, désorganisée, menaçait de se dissoudre sans coup férir. Dans cette nécessité pressante, Gérontius voulut jouer le tout pour le tout : il présenta la bataille à son rival, et sortit de ses lignes au bruit des