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Exploitant de leur mieux les terreurs du prince, les eunuques les exagérèrent encore. Il ne fut plus question à la cour que de périls, de trahisons, de complots. « Que venait faire en Italie, disait-on tout bas, ce meurtrier de Didyme et de Vérinien, ce protégé du comte des domestiques, sinon attaquer l’empereur et le renverser du trône avec l’assistance d’Allowig ? Allowig avait tout préparé. » On plaignait Honorius, on l’engageait à se bien garder, on feignait de veiller avec un redoublement de sollicitude sur sa personne. Il n’y avait dans de telles imputations, on le devine assez, ni vérité ni apparence de bon sens. Constantin avait assez à faire en Gaule sans aller tenter une usurpation en Italie avec une poignée d’hommes entre les Italiens indignés de sa fourberie et les Visigoths, qui ne l’auraient pas ménagé. Toutefois les eunuques le répétèrent, et Honorius le crut. Il supposait d’ailleurs que ce brutal comte des domestiques, qui s’était porté tout récemment sous ses yeux à un acte d’insolence si effréné, ne pouvait être qu’un traître et un ennemi, et il résolut de s’en défaire au plus tôt. Un jour donc qu’il faisait sa promenade habituelle hors des murs de Ravenne, à cheval et accompagné de ses gardes, le comte des domestiques marchant devant à quelque distance, suivant l’étiquette de sa charge, il s’arrêta et fit signe aux soldats de frapper Allowig, par derrière. Celui-ci continuait à chevaucher, inattentif et préoccupé, lorsque les gardes tombèrent sur lui l’épée nue, le renversèrent de cheval et l’achevèrent sur la place. On raconte qu’à cette vue l’empereur, mettant pied à terre, s’agenouilla dévotement et rendit grâce à Dieu de l’avoir délivré du plus cruel de ses ennemis. Tel était ce vieil enfant, bien digne d’attacher son nom à l’humiliation de Rome et à l’agonie de l’empire romain.

Cette tragédie se jouait à Ravenne, tandis que Constantin et l’armée gauloise, après avoir franchi le pas de Suse, suivaient par Milan et Brixia la route qui conduisait à Vérone, et de Vérone se dirigeait par Mantoue sur Ravenne. Ils n’apprirent qu’à Vérone la révolution qui venait de s’opérer au palais impérial et la catastrophe d’Allowig. Les rêves de gloire, si Constantin en avait eu, se dissipèrent alors, et l’empereur gaulois réfléchit à loisir sur l’imprudence de sa conduite. Ravenne s’armait sans doute, et des dispositions se prenaient de toutes parts pour couvrir la résidence impériale contre son approche ; effrayé du péril où il avait si légèrement engagé sa personne et son armée, il rebroussa chemin, et regagna les Alpes cottiennes avec tant de précipitation, que sa marche eut toute l’apparence d’une fuite. Ce fut une seconde faute dont ses ennemis triomphèrent. Les courtisans qui voulaient avoir sauvé la vie de l’empereur, non-seulement en découvrant le complot, mais en prenant d’excellentes mesures stratégiques pour le déjouer, purent présenter ce brusque départ de Constantin comme un aveu de son crime.